Charles d'Orleans
Ballades
20 i EN regardant vers le païs de France, Ung jour m'avint, à Dovre sur la mer, Qu'il me souvint de la doulce
plaisance Que je souloye oùdit païs trouver. Si commençay de cueur à souspirer, Combien certes que grant
bien me faisoit De veoir France, que mon cueur amer doit. Je m'avisay que c'estoit non sçavance De tels soupirs dedens mon cueur garder, Veu que je voy que la
voye commence De bonne paix, qui tous biens peut donner. Pour ce, tournay en confort mon penser: Mais
non pourtant mon cueur ne se lassoit De veoir France, que mon cueur amer doit.
Alors, chargeay en la nef d'esperance Tous mes souhaitz, en les priant d'aler Oultre la mer, sans faire
demourance, Et à France de me recommander. Or, nous doint Dieu bonne paix sans tarder Adonc auray
loisir, mais qu'ainsi soit, De veoir France, que mon cueur amer doit.
ENVOI
Paix est tresor qu'on ne peut trop louer, Je hé guerre, point ne la doit priser; Destourbé m'a longtemps, soit
tort ou droit, De veoir France, que mon cueur amer doit.
[See Notes]
21 ii NOUVELLES ont couru en France Par maints lieux, que j'estoye mort; Dont avoient peu de desplaisance Aucuns
qui me hayent à tort. Autres en ont eu desconfort, Qui m'ayment de loyal vouloir, Comme mes bons et vrais
amis. Si fais à toutes gens sçavoir Qu'encore est vive la souris. Je n'ay éu mal ne grevance, Dieu mercy, mais
suis sain et fort; Et passe temps en esperance Que Paix, qui trop longuement dort, S'esveillera et par
accort A tous fera liesse avoir. Pour ce, de Dieu soient maudis Ceulx qui sont dolents de veoir Qu'encore
est vive la souris. Jeunesse sur moi a puissance; Mais Vieillesse fait son esfort De m'avoir en sa gouvernance, A
present faillira son sort: Je suis assez loin de son port. De plourir vueil garder mon hoir Loué soit Dieu de
paradis Qui m'a donné force et povoir Qu'encore est vive la souris. ENVOI
Nul ne porte pour moy le noir, On vent meillieur marché drap gris; Or, tiengne chascun, pour tout voir, Qu'encore
est vive la souris.
[See Notes]
22 iii PRIEZ pour paix, douce Vierge Marie, Reine des cieux et du monde maistresse, Faites prier, par
vostre courtoisie, Saints et saintes, et prenez vostre adresse Vers vostre fils, requérant sa hautesse Qu'il lui
plaise son peuple regarder Que de son sang a voulu racheter, En deboutant guerre qui tout desvoie; De
prières ne vous veuillez lasser, Priez pour paix, le vrai trésor de joie. Priez, prélats et gens de sainte vie, Religieux, ne dormez en paresse, Priez, maistres et tous suivant clergie, Car
par guerre faut que l'estude cesse; Moustiers destruits sont sans qu'on les redresse, Le service de Dieu
vous faut laisser, Quand ne pouvez en repos demeurer; Priez si fort que briefment Dieu vous oie, L'Église
veut à ce vous ordonner; Priez pour paix, le vrai trésor de joie.
Priez, princes qui avez seigneurie, Rois, ducs, comtes, barons pleins de noblesse, Gentils hommes avec
chevalerie; Car meschants gens surmontent gentillesse; En leurs mains ont toute vostre richesse, Debats
les font en haut estat monter, Vous le pouvez chascun jour voir à clair, Et sont riches de vos biens et monnoie, Dont
vous deussiez le peuple supporter; Priez pour paix, le vrai trésor de joie.
Priez, peuples qui souffrez tyrannie, Car vos seigneurs sont en telle faiblesse Qu'ils ne peuvent vous
garder pour maistrie, Ni vous aider en votre grand destresse; Loyaux marchands, la selle si vous blesse Fort
sur le dos, chacun vous vient presser Et ne pouvez marchandise mener, Car vous n'avez sûr passage ni
voie, En maint péril vous convient-il passer; Priez pour paix, le vrai trésor de joie.
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