Clement Marot
43 Chant de May et de Vertu VOULENTIERS en ce moys icy La terre mue et renouvelle. Maintz amoureux
en font ainsi, Subjectz a faire amour nouvelle Par legiereté de cervelle, Ou pour estre ailleurs plus contens; Ma
façon d'aymer n'est pas telle, Mes amours durent en tout temps. N'y a si belle dame aassi De qui la beaulté ne chancelle; Par temps, maladie ou soucy, Laydeur les tire en
sa nasselle; Mais rien ne peult enlaydir celle Que servir sans fin je pretens; Et pource qu'elle est tousjours
belle, Mes amours durent en tout temps.
Celle dont je dy tout cecy, C'est Vertu, la nymphe eternelle, Qui au mont d'honneur esclercy Tous les
vrays amoureux appelle: `Venez, amans, venez (dit elle), Venez à moi, je vous attens; Venez (ce dit la jouvencelle), Mes
amours durent en tout temps.'
ENVOI Prince, fais amye immortelle, Et à la bien aymer entens; Lors pourras dire sans cautelle: `Mes amours
durent en tout temps
44 Epistre Au
Roy, pour avoir esté derobé
ON dict bien vray, la maulvaise Fortune Ne vient jamais qu'elle n'en apporte
une Ou deux ou trois avecques elle (Syre). Vostre cueur noble en sçauroit bien que dire; Et moy, chetif, qui
ne suis Roy ne rien, L'ay esprouvé, et vous compteray bien, Si vous voulez, comme vint la besongne. J'avois
un jour un vallet de Gascongne, Gourmand, ivrongne, et asseuré menteur, Pipeur, larron, jureur, blasphemateur, Sentant la hart de cent pas à la ronde, Au demourant, le meilleur filz du monde, Prisé, loué, fort estimé des
filles Par les bordeaulx, et beau joueur de quilles. Ce venerable hillot fut adverty De quelque argent que
m'aviez departy, Et que ma bourse avoit grosse apostume; Si se leva plus tost que de coustume, Et me
va prendre en tapinoys icelle, Puis vous la meit tresbien soubz son esselle Argent et tout (cela se doit
entendre), Et ne croy point que ce fust pour la rendre, Car oncques puis n'en ay ouy parler. Brief, le villain
ne s'en voulut aller Pour si petit; mais encore il me happe Saye et bonnet, chausses, pourpoint et cappe; De
mes habitz (en effect) il pilla Tous les plus beaux, et puis s'en habilla Si justement, qu'à le veoir ainsi estre, Vous
l'eussiez prins (en plein jour) pour son maistre. Finablement, de ma chambre il s'en va Droict à l'estable, où
deux chevaulx trouva; Laisse le pire, et sur le meilleur monte, Pique et s'en va. Pour abreger le compte, Soyez
certain qu'au partir du dict lieu N'oublia rien fors qu'à me dire adieu. Ainsi s'en va, chatouilleux de la gorge, Ledict
vallet, monté comme un Sainct Georges, Et vous laissa Monsieur dormir son soul, Qui au resveil n'eust
sceu finer d'un soul. Ce Monsieur là (Syre) c'estoit moy mesme, Qui, sans mentir, fuz au matin bien blesme, Quand
je me vey sans honneste vesture,
Et fort fasché de perdre ma monture; Mais de l'argent que vous m'aviez donné, Je ne fuz point de le perdre
estonné; Car vostre argent (tresdebonnaire Prince) Sans point de faulte est subject à la pince. Bien tost après
ceste fortune là, Une autre pire encores se mesla De m'assaillir, et chascun jour m'assault, Me menaçant de
me donner le sault, Et de ce sault m'envoyer à l'envers, Rithmer soubz terre et y faire des vers. C'est une
lourde et longue maladie De trois bons moys, qui m'a toute eslourdie La povre teste, et ne veult terminer, Ains
me contrainct d'apprendre à cheminer Tant affoibly m'a d'estrange manière; Et si m'a faict la cuysse heronniere, L'estomac
sec, le ventre plat et vague: Quand tout est dit, aussi mauvaise bague Ou peu s'en fault que femme de
Paris, Saulve l'honneur d'elles et leurs maris. Que diray plus au misérable corps Dont je vous parle il n'est
demouré fors Le povre esprit, qui lamente et souspire, Et en pleurant tasche à vous faire rire. Et pour autant
(Syre) que suis à vous, De trois jours l'un viennent taster mon poulx Messieurs Braillon, Le Coq, Akaquia, Pour
me garder d'aller jusqu'à quia. Tout consulté, ont remis au printemps Ma guarison; mais, à ce que j'entens, Si
je ne puis au printemps arriver, Je suis taillé de mourir en yver,
Et en danger, si en yver je meurs, De ne veoir pas les premiers raisins meurs. Voilà comment, depuis neuf
moys en ça, Je suis traicté. Or, ce que me laissa Mon larronneau, long temps a l'ay vendu, Et en sirops et
julez despendu; Ce neantmoins, ce que je vous en mande N'est pour vous faire ou requeste ou demande; Je
ne veulx point tant de gens ressembler, Qui n'ont soucy autre que d'assembler; Tant qu'ilz vivront ilz demanderont,
eulx; Mais je commence à devenir honteux, Et ne veulx plus à voz dons m'arrester. Je ne dy pas, si voulez
rien prester, Que ne le prenne. Il n'est point de presteur (S'il veult prester) qui ne face un debteur. Et
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