Pierre de Ronsard
Sonnets
55 i `AVANT le temps tes tempes fleuriront, `De peu de jours ta fin sera bornée, `Avant le soir se clorra ta
journée, `Trahis d'espoir tes pensers periront: `Sans me flechir tes escrits fletriront, `En ton desastre ira ma destinée, `Pour abuser les poëtes je suis née, `De
tes souspirs nos neveux se riront.
`Tu seras fait du vulgaire la fable, `Tu bastiras sur l'incertain du sable, `Et vainement tu peindras dans les
cieux.'
Ainsi disoit la Nymphe qui m'affolle, Lorsque le ciel, tesmoin de sa parolle, D'un dextre éclair fut presage à
mes yeux.
56 ii JE vous envoie un bouquet que ma main Vient de trier de ces fleurs epanies: Qui ne les
eust à ce vespre cueillies, Cheutes à terre elles fussent demain. Cela vous soit un exemple certain Que vos beautez, bien qu'elles soient fleuries, En peu de temps seront
toutes flaitries, Et, comme fleurs, periront tout soudain.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame, Las! le temps non, mais nous, nous en allons, Et tost
serons estendus sous la lame:
Et des amours desquelles nous parlons, Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle: Pour ce, aymez-
moy, ce pendant qu'estes belle.
57 iii JE veux, me souvenant de ma gentille amie, Boire ce soir d'autant, et pour ce, Corydon, Fay remplir
mes flacons, et verse à l'abandon Du vin pour resjouir toute la compaignie. Soit que m'amie ait nom ou Cassandre ou Marie, Neuf fois je m'en vois boire aux lettres de son nom: Et
toi si de ta belle et jeune Madelon, Belleau, l'amour te poind, je te pri', ne l'oublie.
Apporte ces bouquets que tu m'avois cueillis, Ces roses, ces oeillets, ce jasmin et ces lis: Attache une
couronne à l'entour de ma teste.
Gaignons ce jour icy, trompons nostre trespas: Peut-estre que demain nous ne reboirons pas. S'attendre
au lendemain n'est pas chose trop preste.
58 iv MARIE, levez-vous, vous estes paresseuse, Ja la gaye alouette au ciel a fredonné, Et ja le rossignol
doucement jargonné, Dessus l'espine assis, sa complainte amoureuse. Sus debout, allons voir l'herbelette perleuse, Et vostre beau rosier de boutons couronné, Et vos oeillets
mignons ausquels aviez donné Hier au soir de l'eau d'une main si songneuse.
Harsoir en vous couchant vous jurastes vos yeux, D'estre plustost que moy ce matin esveillée; Mais le
dormir de l'aube, aux filles gracieux,
Vous tient d'un doux sommeil encor les yeux sillée. Ça ça que je les baise et vostre beau tetin Cent fois pour
vous apprendre à vous lever matin.
[See Notes]
59 v COMME on void sur la branche au mois de May la rose En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur, Rendre
le ciel jaloux de sa vive couleur, Quand l'aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose: La grace dans sa feuille, et l'amour se repose, Embasmant les jardins et les arbres d'odeur: Mais battue
ou de pluye ou d'excessive ardeur, Languissante elle meurt feuille à feuille déclose.
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