Voyent l'estat du peuple, et oyent par l'oreille
D'un flateur mensonger qui leur conte merveille.
Tel Roy
ne regne pas, ou bien il regne en peur
(D'autant qu'il ne sçait rien) d'offenser un trompeur.
Mais (Sire)
ou je me trompe en voyant vostre grace,
Ou vous tiendrez d'un Roy la legitime place:
Vous ferez vostre
charge, et comme un Prince doux,
Audience et faveur vous donnerez à tous.
Vostre palais royal cognoistrez
en presence,
Et ne commettrez point une petite offence.
Si un Pilote faut tant soit peu sur la mer
Il fera
dessous l'eau le navire abysmer.
Si un Monarque faut tant soit peu, la province
Se perd: car volontiers
le peuple suit le Prince.
Aussi pour estre Roy vous ne devez penser
Vouloir comme un tyran vos sujets
offenser.
De mesme nostre corps vostre corps est de bouë.
Des petits et des grands la Fortune se jouë:
Tous
les regnes mondains se font et se desfont,
Et au gré de Fortune ils viennent et s'en-vont,
Et ne durent
non-plus qu'une flame allumée,
Qui soudain est esprise, et soudain consumée.
Or, Sire, imitez Dieu, lequel
vous a donné
Le sceptre, et vous a fait un grand Roy couronné,
Faites misericorde à celuy qui supplie,
Punissez
l'orgueilleux qui s'arme en sa folie:
Ne poussez par faveur un homme en dignité,
Mais choisissez celuy qui
l'a bien merité:
Ne baillez pour argent ny estats ny offices,
Ne donnez aux premiers les vacans benefices,
Ne
souffrez pres de vous ne flateurs ne vanteurs:
Fuyez ces plaisans fols qui ne sont que menteurs,
Et n'endurez
jamais que les langues legeres
Mesdisent des seigneurs des terres estrangeres.
Ne soyez point mocqueur, ne trop haut à la main,
Vous
souvenant tousjours que vous estes humain:
Ne pillez vos sujets par rançons ny par tailles,
Ne prenez
sans raison ny guerres ny batailles:
Gardez le vostre propre, et vos biens amassez:
Car pour vivre content
vous en avez assez.
S'il vous plaist vous garder sans archer de la garde,
Il faut que d'un bon oeil le peuple
vous regarde,
Qu'il vous aime sans crainte: ainsi les puissans Rois
Ont conservé le sceptre, et non par le
harnois.
Comme le corps royal ayez l'ame royale,
Tirez le peuple à vous d'une main liberale,
Et pensez que
le mal le plus pernicieux
C'est un Prince sordide et avaricieux.
Ayez autour de vous personnes venerables,
Et
les oyez parler volontiers à vos tables:
Soyez leur auditeur comme fut vostre ayeul,
Ce grand François qui
vit encores au cercueil.
Soyez comme un bon Prince amoureux de la gloire,
Et faites que de vous se
remplisse une histoire
Du temps victorieux, vous faisant immortel
Comme Charles le Grand, ou bien Charles
Martel.
Ne souffrez que les grands blessent le populaire,
Ne souffrez que le peuple aux grands puisse
desplaire,
Gouvernez vostre argent par sagesse et raison.
Le Prince qui ne peut gouverner sa maison,
Sa
femme, ses enfans, et son bien domestique,
Ne sçauroit gouverner une grand' Republique.
Pensez longtemps
devant que faire aucuns Edicts:
Mais si tost qu'ils seront devant le peuple dicts,
Qu'ils soient pour tout
jamais d'invincible puissance,
Autrement vos Decrets sentiroient leur enfance.
Ne vous monstrez jamais pompeusement vestu,
L'habillement des Rois est la seule vertu.
Que vostre
corps reluise en vertus glorieuses,
Et non pas vos habits de perles precieuses.
D'amis plus que d'argent
monstrez vous desireux:
Les Princes sans amis sont tousjours malheureux.
Aimez les gens de bien, ayant
tousjours envie
De ressembler à ceux qui sont de bonne vie.
Punissez les malins et les seditieux:
Ne soyez
point chagrin, despit ne furieux:
Mais honneste et gaillard, portant sur le visage
De vostre gentille ame
un gentil tesmoignage.
Or, Sire, pour-autant que nul n'a le pouvoir
De chastier les Rois qui font mal leur
devoir,
Punissez vous vous mesme, afin que la justice
De Dieu, qui est plus grand, vos fautes ne punisse.
Je
dy ce puissant Dieu dont l'empire est sans bout,
Qui de son throsne assis en la terre voit tout,
Et fait à
un chacun ses justices egales,
Autant aux laboureurs qu'aux personnes royales:
Lequel nous supplions
vous tenir en sa loy,
Et vous aimer autant qu'il fit David son Roy,
Et rendre comme à luy vostre sceptre
tranquille:
Sans la faveur de Dieu la force est inutile.
73 A son Ame AMELETTE Ronsardelette,
Mignonnelette, doucelette,
Tres-chere hostesse de mon corps, Tu descens là bas foiblelette,
Pasle, maigrelette, seulette,
Dans le froid royaume des mors;
Toutefois simple, sans remors,
De meurtre, poison, et rancune,
Mesprisant faveurs et tresors
Tant enviez par la commune.
Passant, j'ai dit: suy ta fortune,
Ne trouble mon repos: je dors.