[See Notes]
79 vi Oqu'heureux est celuy qui peult passer son aage Entre pareils à soy! et qui sans fiction, Sans crainte,
sans envie, et sans ambition, Regne paisiblement en son pauvre mesnage! Le miserable soing d'acquerir d'avantage Ne tyrannise point sa libre affection, Et son plus grand desir,
desir sans passion, Ne s'estend plus avant que son propre heritage.
Il ne s'empesche point des affaires d'autry, Son principal espoir ne depend que de luy, Il est sa court, son
roy, sa faveur, et son maistre.
Il ne mange son bien en païs estranger, Il ne met pour autry sa personne en danger, Et plus riche qu'il est
ne voudroit jamais estre.
80 vii JE ne te conteray de Boulongne, et Venise, De Padoue, et F errare, et de Milan encor', De Naples,
de Florence, et lesquelles sont or' Meilleures pour la guerre, ou pour la marchandise: Je te raconteray du siege de l'Eglise, Qui fait d'oysiveté son plus riche tresor, Et qui dessous l'orgueil de
trois couronnes d'or Couve l'ambition, la haine, et la feintise:
Je te diray qu'icy le bon heur, et malheur, Le vice, la vertu, le plaisir, la douleur, La science honorable, et
l'ignorance abonde.
Bref, je diray qu'icy, comme en ce vieil Chaos, Se trouve (Peletier) confusément enclos Tout ce qu'on void
de bien et de mal en ce monde.
81 viii IL fait bon voir (Paschal) un conclave serré, Et l'une chambre à l'autre egalement voisine D'antichambre
servir, de salle, et de cuisine, En un petit recoing de dix pieds en carré: Il fait bon voir autour le palais emmuré, Et briguer là dedans ceste troppe divine, L'un par ambition, l'autre
par bonne mine, Et par despit de l'un, estre l'autre adoré:
Il fait bon voir dehors toute la ville en armes, Crier, le Pape est fait, donner de faulx alarmes, Saccager
un palais: mais plus que tout cela
Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante, Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-là, Et pour
moins d'un escu dix Cardinaux en vente.
82 ix J'AYME la liberté, et languis en service, Je n'ayme point la Court, et me fault courtiser, Je n'ayme la
feintise, et me fault deguiser, J'ayme simplicité, et n'apprens que malice. Je n'adore les biens, et sers à l'avarice, Je n'ayme les honneurs, et me les fault priser, Je veulx garder ma
foy, et me la fault briser, Je cherche la vertu, et ne trouve que vice.
Je cherche le repos, et trouver ne le puis, J'embrasse le plaisir, et n'esprouve qu'ennuis, Je n'ayme à discourir,
en raison je me fonde:
J'ay le corps maladif, et me fault voyager, Je suis né pour la Muse, on me fait mesnager: Ne suis-je pas
(Morel) le plus chetif du monde?
83 x. JE hay du Florentin l'usuriere avarice, Je hay du fol Sienois le sens mal arresté, Je hay du Genevois
la rare verité, Et du Venetien la trop caute malice. Je hay le Ferrarois pour je ne sçay quel vice, Je hay tous les Lombards pour l'infidelité, Le fier Napolitain
pour sa grand' vanité, Et le poltron Romain pour son peu d'exercice.
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