Je hay l'Anglois mutin, et le brave Escossois, Le traistre Bourguignon, et l'indiscret François, Le superbe
Espaignol, et l'yvrongne Thudesque:
Bref, je hay quelque vice en chasque nation, Je hay moymesme encor mon imperfection, Mais je hay par
sur tout un sçavoir pedantesque.
84 xi FLATTER un crediteur, pour son terme allonger, Courtiser un banquier, donner bonne esperance, Ne
suivre en son parler la liberté de France, Et pour respondre un mot, un quart d'heure y songer: Ne gaster sa santé par trop boire et manger, Ne faire sans propos une folle despense, Ne dire à tous venans
tout cela que lon pense, Et d'un maigre discours gouverner l'estranger:
Cognoistre les humeurs, cognoistre qui demande, Et d'autant que lon a la liberté plus grande, D'autant
plus se garder que lon ne soit repris:
Vivre aveques chascun, de chascun faire compte: Voila, mon cher Morel (dont je rougis de honte), Tout le
bien qu'en trois ans à Rome j'ay appris.
85 D'un Vanneùr de Blé aux Vents AVOUS troppe legere, Qui d'aele passagere Par le monde volez, Et d'un
sifflant murmure L'ombrageuse verdure Doulcement esbranlez, J'offre ces violettes, Ces lis et ces fleurettes, Et ces roses icy, Ces vermeillettes roses, Tout freschement écloses, Et
ces oeilletz aussi.
De vostre doulce halaine Eventez ceste plaine, Eventez ce sejour: Ce pendant que j'ahanne A mon blé, que
je vanne A la chaleur du jour.
[See Notes]
86 Villanelle EN ce moys delicieux, Qu'amour toute chose incite, Un chacun à qui mieulx mieulx La
doulceur du temps imite, Mais une rigueur despite Me faict pleurer mon malheur. Belle et franche Marguerite, Pour
vous j'ay ceste douleur. Dedans vostre oeil gracieux Toute doulceur est escrite, Mais la doulceur de voz yeux En amertume est
confite, Souvent la couleuvre habite Dessoubs une belle fleur. Belle et franche Marguerite, Pour vous j'ay
ceste douleur.
Or puis que je deviens vieux, Et que rien ne me profite, Desesperé d'avoir mieulx, Je m'en iray rendre hermite, Je
m'en iray rendre hermite, Pour mieulx pleurer mon malheur Belle et franche Marguerite, Pour vous j'ay
ceste douleur.
Mais si la faveur des Dieux Au bois vous avoit conduitte, Où, desperé d'avoir mieulx, Je m'en iray rendre
hermite: Peult estre que ma poursuite Vous feroit changer couleur. Belle et franche Marguerite, Pour vous
j'ay ceste douleur.
[See Notes]
87 A Ceres REGARDE, ô Ceres la grande, Danser la rustique bande Des laboureurs assemblez A
la semence des bledz: Fay que le grain ne pourrisse Par la pluie, et ne perisse Par l'hyver trop avancé Le
sillon ensemencé. Que la malheureuse avéne Ne foisonne sur la plaine, Ny toute autre herbe qui nuit Au
grain dont vient le bon fruict. Qu'un fort vent meslé de gresle Ne renverse pesle mesle Le blé sur terre haulsé De
telle fureur blessé. Que les oyseaux qui ravissent Du froument ne se nourrissent, Ny ces monstres d'animaulx, Qui
font par tout tant de maulx. Mais fay que le champ nous rende, Avec une usure grande, Les grains par
nous enserrez Soubs les sillons labourez. Ainsi sera. Qu'on espanche Un plein pot de créme blanche, Et
du miel delicieux, Coulant avecques vin vieux. Que l'hostie inviolée, Avant que d'estre immolée, Par trois
fois d'un heureux tour Cerne ces bledz à l'entour. C'est assez. Moissons parfaictes, Autres festes seront
faictes, Et seront tes cheveux saincts D'espicz couronnez et ceinctz.
88 Epitaphe d'un petit Chien
DESSOUS ceste motte verte De lis et roses couverte Gist le petit Peloton De
qui le poil foleton Frisoit d'une toyson blanche Le doz, le ventre, et la hanche. Son nez camard, ses gros
|