Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tybre seul, qui vers la
mer s'enfuit,
Reste de Rome. O mondaine inconstance!
Ce qui est ferme, est par le temps destruit,
Et ce qui fuit, au
temps fait resistance.
92 iv CELLE qui de son chef les estoilles passoit,
Et d'un pied sur Thetis, l'autre dessous l'Aurore,
D'une
main sur le Scythe, et l'autre sur le More,
De la terre, et du ciel, la rondeur compassoit, Juppiter ayant peur, si plus elle croissoit,
Que l'orgueil des Geans se relevast encore,
L'accabla sous ces
monts, ces sept monts qui sont ore
Tumbeaux de la grandeur qui le ciel menassoit.
Il luy meist sur le chef la croppe Saturnale,
Puis dessus l'estomac assist la Quirinale,
Sur le ventre il
planta l'antique Palatin,
Mist sur la dextre main la hauteur Celienne,
Sur la senestre assist l'eschine Exquilienne,
Viminal sur un
pied, sur l'autre l'Aventin.
93 v QUI voudra voir tout ce qu'ont peu nature,
L'art et le ciel (Rome) te vienne voir:
J'entens s'il peult ta
grandeur concevoir
Par ce qui n'est que ta morte peinture. Rome n'est plus: et si l'architecture
Quelque umbre encor de Rome fait revoir,
C'est comme un corps par
magique sçavoir,
Tiré de nuict hors de sa sepulture.
Le corps de Rome en cendre est devallé,
Et son esprit rejoindre s'est allé
Au grand esprit de cette masse
ronde.
Mais ses escripts, qui son loz le plus beau
Malgré le temps arrachent du tumbeau,
Font son idole errer
parmy le monde.
94 vi TELLE que dans son char la Berecynthienne
Couronnée de tours, et joyeuse d'avoir
Enfanté tant de
Dieux, telle se faisoit voir
En ses jours plus heureux ceste ville ancienne: Ceste ville qui fut plus que la Phrygienne
Foisonnante en enfans, et de qui le pouvoir
Fut le pouvoir du
monde, et ne se peult revoir
Pareille à sa grandeur, grandeur sinon la sienne.
Rome seule pouvoit à Rome ressembler,
Rome seule pouvoit Rome faire trembler:
Aussi n'avoit permis
l'ordonnance fatale,
Qu'autre pouvoir humain, tant fust audacieux,
Se vantast d'égaler celle qui fit égale
Sa puissance à la terre,
et son courage aux cieux.
95 vii TELZ que lon vid jadis les enfans de la Terre,
Plantez dessus les monts pour escheller les cieux,
Combattre
main à main la puissance des Dieux,
Et Juppiter contre eux, qui ses foudres desserre: Puis tout soudainement renversez du tonnerre
Tumber deçà delà ces squadrons furieux,
La Terre gemissante,
et le Ciel glorieux
D'avoir à son honneur achevé ceste guerre:
Tel encor' on a veu par dessus les humains
Le front audacieux des sept costaux Romains
Lever contre le
ciel son orgueilleuse face:
Et telz ores on void ces champs deshonnorez
Regretter leur ruine, et les Dieux asseurez
Ne craindre
plus là hault si effroyable audace.
96 viii COMME lon void de loing sur la mer courroucée
Une montaigne d'eau d'un grand branle ondoyant,
Puis
trainant mille flotz, d'un gros choc abboyant
Se crever contre un roc, où le vent l'a poussée: