Comme on void la fureur par l'Aquillon chassée
D'un sifflement aigu l'orage tournoyant,
Puis d'une aile
plus large en l'air esbanoyant
Arrester tout à coup sa carriere lassée:
Et comme on void la flamme ondoyant en ces lieux
Se rassemblant en un, s'aguiser vers les cieux,
Puis
tumber languissante: ainsi parmy le monde
Erra la Monarchie: et croissant tout ainsi
Qu'un flot, qu'un vent, qu'un feu, sa course vagabonde
Par un
arrest fatal s'est venu' perdre icy.
97 ix QUAND ce brave sejour, honneur du nom Latin,
Qui borna sa grandeur d'Afrique, et de la Bize,
De
ce peuple qui tient les bords de la Tamise,
Et de celuy qui void esclorre le matin, Anima contre soy d'un courage mutin
Ses propres nourissons, sa despouille conquise,
Qu'il avoit par tant
d'ans sur tout le monde acquise,
Devint soudainement du monde le butin:
Ainsi quand du grand Tout la fuite retournée,
Où trentesix mil' ans ont sa course bornée,
Rompra des elemens
le naturel accord,
Les semences qui sont meres de toutes choses
Retourneront encor à leur premier discord,
Au ventre du
Chaos eternellement closes.
98 x QUI voudroit figurer la Romaine grandeur
En ses dimensions, il ne luy faudroit querre
A la ligne, et
au plomb, au compas, à l'equerre,
Sa longueur et largeur, hautesse et profondeur: Il luy faudroit cerner d'une egale rondeur
Tout ce que l'Ocean de ses longs bras enserre,
Soit où l'Astre
annuel eschauffe plus la terre,
Soit où soufle Aquilon sa plus grande froideur.
Rome fut tout le monde, et tout le monde est Rome.
Et si par mesmes noms mesmes choses on nomme,
Comme
du nom de Rome on se pourroit passer,
La nommant par le nom de la terre et de l'onde:
Ainsi le monde on peult sur Rome compasser,
Puis que
le plan de Rome est la carte du monde.
99 xi TOY qui de Rome emerveillé contemples
L'antique orgueil, qui menassoit les cieux,
Ces vieux palais,
ces monts audacieux,
Ces murs, ces arcz, ces thermes, et ces temples, Juge, en voyant ces ruines si amples,
Ce qu'a rongé le temps injurieux,
Puis qu'aux ouvriers les plus industrieux
Ces
vieux fragmens encor servent d'exemples.
Regarde apres, comme de jour en jour
Rome, fouillant son antique sejour,
Se rebatist de tant d'oeuvres
divines:
Tu jugeras, que le daemon Romain
S'efforce encor d'une fatale main
Ressusciter ces poudreuses ruines.
100 xii ESPEREZ-vous que la posterité
Doive (mes vers) pour tout jamais vous lire?
Esperez-vous que
l'oeuvre d'une lyre
Puisse acquerir telle immortalité? Si sous le ciel fust quelque eternité,
Les monuments que je vous ay fait dire,
Non en papier, mais en marbre
et porphyre,
Eussent gardé leur vive antiquité.
Ne laisse pas toutefois de sonner,
Luth, qu'Apollon m'a bien daigné donner:
Car si le temps ta gloire ne
desrobbe,
Vanter te peux, quelque bas que tu sois,
D'avoir chanté le premier des François,
L'antique honneur du peuple à
longue robbe.