104 Aux cendres de Claude Colet SI ma voix, qui me doit bien tost pousser au nombre
Des Immortels,
pouvoit aller jusqu'à ton ombre,
COLET, à qui la mort
Se monstra trop jalouse et dépite d'attendre
Que tu eusses
parfait ce qui te peut deffendre
De son avare port: Si tu pouvois encor sous la cadence saincte
D'un Lut, qui gemiroit et ta mort, et ma plainte,
Tout ainsi te
ravir,
Que tu te ravissois dessous tant de merveilles,
Lors que durant tes jours je faisois tes oreilles
Sous
mes loix s'asservir:
Tu ferois escouter à la troupe sacrée
Des Manes bien heureux, qui seule se recrée
Entre les lauriers verds,
Les
mots que maintenant devot en mon office
Je rediray neuf fois, pour l'heureux sacrifice
Que te doivent
mes vers.
Mais pource que ma voix, adversaire aux tenebres,
Ne pourroit pas passer par les fleuves funebres,
Qui
de bras tortillez
Vous serrent à l'entour, et dont, peut estre, l'onde
Pourroit souiller mes vers, qui dedans
nostre monde
Ne seront point souillez:
Il me faut contenter, pour mon devoir te rendre,
De tesmoigner tout bas à ta muette cendre,
Bien que ce
soit en vain,
Que ceste horrible Soeur qui a tranché ta vie
Ne trancha point alors l'amitié qui me lie,
Où rien
ne peut sa main.
Que les fardez amis, dont l'amitié chancelle
Sous le vouloir du fort, evitent un JODELLE,
Obstiné pour vanger
Toute
amitié rompue, amoindrie, et volage,
Autant qu'il est ami des bons amis, que l'age
Ne peut jamais changer.
Sois moy donc un tesmoin, ô toy Tumbe poudreuse,
Sois moy donc un tesmoin, ô toy Fosse cendreuse,
Qui
t'anoblis des os
Desja pourris en toy, sois tesmoin que j'arrache
Maugré l'injuste mort ce beau nom, qui se
cache
Dedans ta poudre enclos.
Vous qui m'accompagnez, ô trois fois trois pucelles,
Qu'on donne à ce beau
nom des ailes immortelles,
Pour voler de ce lieu
Jusqu'à l'autel que tient vostre mere Memoire,
Qui regaignant sans fin sus la mort la victoire,
D'un homme
fait un Dieu.
Pour accomplir mon voeu, je vois trois fois espandre
Trois gouttes de ce laict dessus la seiche cendre,
Et
tout autant de vin;
Tien, reçoy le cyprès, l'amaranthe, et la rose,
O Cendre bien heureuse, et mollement repose
Icy jusqu'à la fin.