Olivier de Magny

108 MON Castin, quand j'aperçois
Ces grands arbres dans ces bois
Dépouillés de leur parure,
Je rêvasse à la verdure
Qui ne dure que six mois.

Puis, je pense à nostre vie
Si malement asservie,
Qu'el' n'a presque le loisir
De choisir quelque plaisir,
Qu'elle ne nous soit ravie.

Nous semblons à l'arbre verd
Qui demeure, un temps, couvert
De mainte feuille naïve,
Puis, dès que l'hiver arrive,
Toutes ses feuilles il perd.

Ce pendant que la jeunesse
Nous repand de sa richesse,
Tousjours gais, nous florissons;
Mais soudain nous flétrissons,
Assaillis de la vieillesse.

Car ce vieil faucheur, le Tems,
Qui devore ses enfans,
Ayant ailé nos années,
Les fait voler empennées,
Plus tost que les mesmes vents.

Doncques, tandis que nous sommes,
Mon Castin, entre les hommes,
N'ayons que notre aise cher,
Sans aller là haut chercher
Tant de feux et tant d'atomes.

Quelque fois il faut mourir,
Et si quelqu'un peut guerir
Quelque fois de quelque peine,
Enfin son attente vaine
Ne sait plus où recourir.

L'esperance est trop mauvaise,
Allons doncques sous la braise
Cacher ces marons si beaux,
Et de ces bons vins nouveaux
Appaisons notre mésaise.

Aisant ainsi notre coeur,
Le petit archer vainqueur
Nous viendra dans la memoire;
Car, sans le manger et boire,
Son trait n'a point de vigueur.

Puis, avecq' nos nymphes gayes,
Nous irons guerir les playes
Qu'il nous fit dedans le flanc,
Lorsqu'au bord de cet estang
Nous dansions en ces saulayes.


109   Sonnet
MAGNY

HOLA, Charon, Charon, Nautonnier infernal!

CHARON

Qui est cet importun qui si pressé m'appelle?

MAGNY

C'est l'esprit eploré d'un amoureux fidelle,

Lequel pour bien aimer n'eust jamais que du mal.

CHARON

Que cherches-tu de moy?
MAGNY

                            Le passage fatal.

CHARON

Quel est ton homicide?

MAGNY

                            O demande cruelle!
Amour m'a fait mourir.

CHARON

                            Jamais dans ma nasselle
Nul subget à l'amour je ne conduis à val.

MAGNY

Et de grâce, Charon, reçoi-moy dans ta barque.

CHARON

Cherche un autre nocher, car ny moy ny la Parque
N'entreprenons jamais sur ce maistre des Dieux.

MAGNY

J'iray donc maugré toy; car j'ay dedans mon âme
Tant de traicts amoureux, tant de larmes aux yeux,
Que je seray le fleuve, et la barque et la rame.


  By PanEris using Melati.

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