123 Chanson OBIEN heureux qui peut passer sa vie
Entre les siens, franc de haine et d'envie,
Parmy
les champs, les forests et les bois,
Loin du tumulte et du bruit populaire;
Et qui ne vend sa liberté pour
plaire
Aux passions des princes et des rois! Il n'a soucy d'une chose incertaine,
Il ne se paist d'une esperance vaine,
Nulle faveur ne le va decevant;
De
cent fureurs il n'a l'ame embrasée
Et ne maudit sa jeunesse abusée,
Quand il ne trouve à la fin que du vent.
Il ne fremist quand la mer courroucée
Enfle ses flots, contrairement poussée
Des vens esmeus soufflans
horriblement;
Et quand la nuict à son aise il sommeille,
Une trompette en sursaut ne l'esveille
Pour l'envoyer
du lict au monument.
L'ambition son courage n'attise,
D'un fard trompeur son ame il ne desguise,
Il ne se plaist à violer sa foy;
Des
grands seigneurs l'oreille il n'importune,
Mais en vivant content de sa fortune
Il est sa cour, sa faveur, et
son roy.
Je vous rens grace, ô deitez sacrées
Des monts, des eaux, des forests et des prées,
Qui me privez de pensers
soucieux,
Et qui rendez ma volonté contente,
Chassant bien loin la miserable attente,
Et les desirs des
coeurs ambitieux!
Dedans mes champs ma pensée est enclose.
Si mon corps dort mon esprit se repose,
Un soin cruel ne le
va devorant:
Au plus matin, la fraischeur me soulage,
S'il fait trop chaud, je me mets à l'ombrage,
Et s'il fait
froid, je m'eschauffe en courant.
Si je ne loge en ces maisons dorées,
Au front superbe, aux voûtes peinturées
D'azur, d'esmail, et de mille
couleurs,
Mon oeil se paist des tresors de la plaine
Riche d'oeillets, de lis, de marjolaine,
Et du beau teint
des printanieres fleurs.
Dans les palais enflez de vaine pompe,
L'ambition, la faveur qui nous trompe,
Et les soucys logent communement:
Dedans
nos champs se retirent les fées,
Roines des bois à tresses decoiffées,
Les jeux, l'amour, et le contentement.
Ainsi vivant, rien n'est qui ne m'agrée.
J'oy des oiseaux la musique sacrée,
Quand, au matin, ils benissent
les cieux;
Et le doux son des bruyantes fontaines
Qui vont, coulant de ces roches hautaines,
Pour arrouser
nos prez delicieux.
Que de plaisir de voir deux colombelles,
Bec contre bec, en tremoussant des ailes,
Mille baisers se donner
tour à tour;
Puis, tout ravy de leur grace naïve,
Dormir au frais d'une source d'eau vive,
Dont le doux bruit
semble parler d'amour!