Theodore-Agrippa D'aubigné
124 L'Hyver MES volages humeurs, plus sterilles que belles,
S'en vont; et je leur dis: Vous sentez, irondelles,
S'esloigner
la chaleur et le froid arriver.
Allez nicher ailleurs, pour ne tascher, impures,
Ma couche de babil et ma
table d'ordures;
Laissez dormir en paix la nuict de mon hyver. D'un seul poinct le soleil n'esloigne l'hemisphere;
Il jette moins d'ardeur, mais autant de lumiere.
Je change
sans regrets, lorsque je me repens
Des frivoles amours et de leur artifice.
J'ayme l'hyver qui vient purger
mon coeur de vice,
Comme de peste l'air, la terre de serpens.
Mon chef blanchit dessous les neiges entassées.
Le soleil, qui reluit, les eschauffe, glacées,
Mais ne les
peut dissoudre, au plus court de ses mois.
Fondez, neiges; venez dessus mon coeur descendre,
Qu'encores
il ne puisse allumer de ma cendre
Du brazier, comme il fit des flammes autrefois.
Mais quoi! serai-je esteint devant ma vie esteinte?
Ne luira plus sur moi la flamme vive et sainte,
Le zèle
flamboyant de la sainte maison?
Je fais aux saints autels holocaustes des restes,
De glace aux feux
impurs, et de naphte aux celestes:
Clair et sacré flambeau, non funebre tison!
Voici moins de plaisirs, mais voici moins de peines.
Le rossignol se taist, se taisent les Sereines.
Nous ne
voyons cueillir ni les fruits ni les fleurs;
L'esperance n'est plus bien souvent tromperesse,
L'hyver jouit de
tout. Bienheureuse vieillesse
La saison de l'usage, et non plus des labeurs!
Mais la mort n'est pas loin; cette mort est suivie
D'un vivre sans mourir, fin d'une fausse vie:
Vie de nostre
vie, et mort de nostre mort.
Qui hait la seureté, pour aimer le naufrage?
Qui a jamais esté si friant de voyage
Que
la longueur en soit plus douce que le port?