125 Consolation à M. du Périer TA douleur, du Périer, sera donc éternelle
Et les tristes discours
Que te met en
l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours? Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale, où ta raison
perdue
Ne se retrouve pas?
Je sais de quels appas son enfance étoit pleine,
Et n'ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque
son mépris.
Mais elle étoit du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin;
Et rose elle a vécu ce que vivent les
roses,
L'espace d'un matin.
Puis quand ainsi seroit que, selon ta prière,
Elle auroit obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en
fût-il advenu?
Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil?
Ou qu'elle eût moins senti la
poussière funeste
Et les vers du cercueil?
Non, non, mon du Périer, aussitôt que la Parque
Ôte l'âme du corps,
L'âge s'évanouit au deçà de la barque,
Et ne
suit point les morts.
Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale;
Et Pluton aujourd'hui,
Sans égard du passé, les mérites égale
D'Archémore
et de lui.
Ne te lasse donc plus d'inutiles complaintes;
Mais, sage à l'avenir,
Aime une ombre comme ombre, et des
cendres éteintes
Éteins le souvenir.
C'est bien, je le confesse, une juste coutume
Que le coeur affligé,
Par le canal des yeux vidant son amertume,
Cherche
d'être allégé.
Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,
Celui qui ne s'émeut a l'âme d'un barbare,
Ou
n'en a du tout point.
Mais d'être inconsolable et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N'est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De
bien aimer autrui?
Priam qui vit ses fils abattus par Achille,
Dénué de support
Et hors de tout espoir du salut de sa ville,
Reçut
du réconfort.
François, quand la Castille, inégale à ses armes,
Lui vola son dauphin,
Sembla d'un si grand coup devoir
jeter des larmes
Qui n'eussent point de fin.
Il les sécha pourtant, et, comme un autre Alcide,
Contre fortune instruit,
Fit qu'à ses ennemis d'un acte si
perfide
La honte fut le fruit.
Leur camp, qui la Durance avoit presque tarie
De bataillons épais,
Entendant sa constance, eut peur de sa
furie,
Et demanda la paix.
De moi, déjà deux fois d'une pareille foudre
Je me suis vu perclus,
Et deux fois la raison m'a si bien fait
résoudre
Qu'il ne m'en souvient plus.
Non qu'il ne me soit grief que la tombe possède
Ce qui me fut si cher;
Mais en un accident qui n'a point
de remède
Il n'en faut point chercher.
La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.
On a beau la prier,
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles
Et
nous laisse crier.