Du siècle les mignons, fils de la poule blanche,
Ils tiennent à leur gré la fortune en la manche;
En crédit élevés,
ils disposent de tout,
Et n'entreprennent rien qu'ils n'en viennent à bout.
`Mais quoi! me diras-tu, il t'en faut
autant faire.
Qui ose a peu souvent la fortune contraire.
Importune le Louvre, et de jour et de nuit;
Perds,
pour t'assujettir, et la table et le lit;
Sois entrant, effronté, et sans cesse importune:
En ce temps l'impudence élève
la fortune.'
Il est vrai! mais pourtant je ne suis point d'avis
De dégager mes jours pour les rendre asservis,
Et sous un
nouvel astre aller, nouveau pilote,
Conduire en autre mer mon navire, qui flotte
Entre l'espoir du bien et la
peur du danger
De froisser mon attente en ce bord étranger.
Car, pour dire le vrai, c'est un pays étrange,
Où comme un vrai Protée à toute heure on se change,
Où les lois,
par respect sages humainement,
Confondent le loyer avec le châtiment;
Et pour un même fait, de même
intelligence,
L'un est justicié, l'autre aura récompense.
Car selon l'intérêt, le crédit ou l'appui,
Le crime se condamne
et s'absout aujourd'hui.
Je le dis sans confondre en ces aigres remarques
La clémence du roi, le miroir des monarques,
Qui plus grand de vertu, de coeur et de renom,
S'est acquis
de clément et la gloire et le nom.
Or, quant à ton conseil qu'à la Cour je m'engage,
Je n'en ai pas l'esprit, non
plus que le courage.
Il faut trop de savoir et de civilité,
Et, si j'ose en parler, trop de subtilité.
Ce n'est pas
mon humeur; je suis mélancolique,
Je ne suis point entrant, ma façon est rustique,
Et le surnom de bon me
va-t-on reprochant,
D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant.
Et puis, je ne saurais me forcer m me feindre;
Trop libre en volonté, je ne me puis contraindre.
Je ne saurais
flatter, et ne sais point comment
Il faut se faire accort, ou parler faussement,
Bénir les favoris de geste et
de paroles,
Parler de leurs aïeux au jour de Cérisoles,
De hauts faits de leur race et comme ils ont acquis
Ce
titre avec honneur de Ducs et de Marquis.
Je n'ai point tant d'esprit pour tant de menterie.
Je ne puis
m'adonner à la cajolerie,
Selon les accidents, les humeurs ou les jours,
Changer, comme d'habits, tous
les mois de discours.
Suivant mon naturel, je hais tout artifice:
Je ne puis déguiser la vertu ni le vice;
Offrir
tout de la bouche, et, d'un propos menteur,
Dire: `Pardieu! monsieur, je vous suis serviteur;'
Pour cent
bonadiés s'arrêter en la rue;
Faire sur l'un des pieds en la salle la grue;
Entendre un marjolet qui dit avec
mépris:
`Ainsi qu'ânes, ces gens sont tous vêtus de gris;
Ces autres verdelets aux perroquets ressemblent,
Et ceux-ci mal peignés devant les dames tremblent;'
Puis, au partir de là, comme tourne le vent,
Avecques
un bonjour, amis comme devant.
Je n'entends point le cours du ciel ni des planètes;
Je ne sais deviner
les affaires secrètes,
Connaître un bon visage, et juger si le coeur,
Contraire à ce qu'on voit, ne serait point
moqueur.
De porter un poulet je n'ai la suffisance,
Je ne suis point adroit, je n'ai point d'éloquence
Pour
colorer un fait ou détourner la foi,
Prouver qu'un grand amour n'est sujet à la loi,
Suborner par discours
une femme coquette,
Lui conter les chansons de Jeanne et de Paquette,
Débaucher une fille, et par vives
raisons
Lui montrer comme Amour fait les bonnes maisons,
Les maintient, les élève, et, propice aux plus
belles,
En honneur les avance et les fait demoiselles;
Que c'est pour leur beaux nez que se font les ballets,
Qu'elles
sont le sujet des vers et des poulets,
Que leur nom retentit dans les airs que l'on chante,
Qu'elles ont à
leur suite une troupe béante
De langoureux transis; et, pour le faire court,
Dire qu'il n'est rien tel qu'aimer
les gens de Court,
Allégant maint exemple en ce siècle où nous sommes,
Qu'il n'est rien si facile à prendre
que les hommes,
Et qu'on ne s'enquiert plus s'elle a fait le pourquoi
Pourvu qu'elle soit riche et qu'elle ait
bien de quoi.
Quand elle aurait suivi le camp à la Rochelle,
S'elle a force ducats, elle est toute pucelle.
L'honneur
estropié, languissant et perclus,
N'est plus rien qu'une idole en qui l'on ne croit plus.
Or pour dire ceci il
faut force mystère,
Et de mal discourir il vaut bien mieux se taire.
Il est vrai que ceux-là qui n'ont pas tant d'esprit
Peuvent mettre en papier leur dire par écrit,
Et rendre par
leurs vers leur muse maquerelle;
Mais, pour dire le vrai, je n'en ai la cervelle.
Il faut être trop prompt, écrire à
tous propos,
Perdre pour un sonnet et sommeil et repos.
Puis ma muse est trop chaste, et j'ai trop de
courage
Et ne puis pour autrui façonner un ouvrage.
Pour moi, j'ai de la Court autant comme il m'en faut;
Le
vol de mon dessein ne s'étend point si haut;
De peu je suis content, encore que mon maître,
S'il lui plaisait
un jour mon travail reconnaître,
Peut autant qu'autre prince, et a trop de moyen
D'élever ma fortune et me
faire du bien.
Ainsi que sa nature, à la vertu facile,
Promet que mon labeur ne doit être inutile,
Et qu'il doit