133 La Belle Vieille CLORIS, que dans mon coeur j'ai si longtemps servie,
Et que ma passion montre à
tout l'univers,
Ne veux-tu pas changer le destin de ma vie,
Et donner de beaux jours à mes derniers hivers? N'oppose plus ton deuil au bonheur où j'aspire.
Ton visage est-il fait pour demeurer voilé?
Sors de ta nuit
funèbre, et permets que j'admire
Les divines clartés des yeux qui m'ont brûlé.
Où s'enfuit ta prudence acquise et naturelle?
Qu'est-ce que ton esprit a fait de sa vigueur?
La folle vanité
de paraître fidèle
Aux cendres d'un jaloux m'expose à ta rigueur.
Eusses-tu fait le voeu d'un éternel veuvage
Pour l'honneur du mari que ton lit a perdu,
Et trouvé des Césars
dans ton haut parentage:
Ton amour est un bien qui m'est justement dû.
Qu'on a vu revenir de malheurs et de joies,
Qu'on a vu trébucher de peuples et de rois,
Qu'on a pleuré
d'Hector, qu'on a brûlé de Troyes,
Depuis que mon courage a fléchi sous tes lois!
Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête;
Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris;
Et j'ai fidèlement
aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains, et sous des cheveux gris.
C'est de tes jeunes yeux que mon ardeur est née,
C'est de leurs premiers traits que je fus abattu;
Mais,
tant que tu brûlas du flambeau d'hyménée,
Mon amour se cacha pour plaire à ta vertu.
Je sais de quel respect il faut que je t'honore,
Et mes ressentiments ne l'ont pas violé;
Si quelquefois j'ai
dit le soin qui me dévore,
C'est à des confidents qui n'ont jamais parlé.
Pour adoucir l'aigreur des peines que j'endure,
Je me plains aux rochers, et demande conseil
A ces vieilles
forêts, dont l'épaisse verdure
Fait de si belles nuits en dépit du soleil.
L'âme pleine d'amour et de mélancolie,
Et couché sur des fleurs et sous des orangers,
J'ai montré ma blessure
aux deux mers d'Italie,
Et fait dire ton nom aux échos étrangers.
Ce fleuve impérieux à qui tout fit hommage,
Et dont Neptune même endura le mépris,
A su qu'en mon esprit
j'adorais ton image,
Au lieu de chercher Rome en ses vastes débris.
Cloris, la passion que mon coeur t'a jurée
Ne trouve point d'exemple aux siècles les plus vieux.
Amour et la
Nature admirent la durée
Du feu de mes désirs, et du feu de tes yeux.
La beauté qui te suit depuis ton premier âge,
Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser;
Et le temps, orgueilleux
d'avoir fait ton visage,
En conserve l'éclat, et craint de l'effacer.
Regarde sans frayeur la fin de toutes choses,
Consulte ton miroir avec des yeux contents:
On ne voit
point tomber ni tes lis ni tes roses,
Et l'hiver de ta vie est ton second printemps.
Pour moi, je cède aux ans, et ma tête chenue
M'apprend qu'il faut quitter les hommes et le jour;
Mon sang
se refroidit; ma force diminue;
Et je serais sans feu, si j'étais sans amour.
C'est dans peu de matins que je croîtrai le nombre
De ceux à qui la Parque a ravi la clarté.
Oh! qu'on oira
souvent les plaintes de mon ombre
Accuser tes mépris de m'avoir maltraité!
Que feras-tu, Cloris, pour honorer ma cendre?
Pourras-tu sans regret ouïr parler de moi,
Et le mort que tu
plains te pourra-t-il défendre
De blâmer ta rigueur et de louer ma foi?
Si je voyais la fin de l'âge qui te reste,
Ma raison tomberait sous l'excès de mon deuil;
Je pleurerais sans
cesse un malheur si funeste,
Et ferais, jour et nuit, l'amour à ton cercueil.
134 Épigramme UN rare écrivain comme toi
Devrait enrichir sa famille
D'autant d'argent que le feu roi
En
avait mis en la Bastille:
Mais les vers ont perdu leur prix,
Et pour les excellents esprits
La faveur des princes