138 OH! que j'aime la solitude!
Que ses lieux sacrés à la nuit,
Éloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon
inquiétude!
Mon Dieu! que mes yeux sont contents
De voir ces bois qui se trouvèrent
A la nativité du temps,
Et
que tous les siècles révèrent,
Être encore aussi beaux et verts
Qu'aux premiers jours de l'univers! Un gai zéphyre les caresse
D'un mouvement douce et flatteur.
Rien que leur extrême hauteur
Ne fait remarquer
leur vieillesse,
Jadis Pan et ses demi-dieux
Y vinrent chercher du refuge,
Quand Jupiter ouvrit les cieux
Pour
nous envoyer le déluge,
Et se sauvent sur leurs rameaux,
A peine virent-ils les eaux.
Que, sur cette épine fleurie,
Dont le printemps est amoureux,
Philomèle au chant langoureux,
Entretient
bien ma rêverie!
Que je prends de plaisir de voir
Ces monts pendant en précipices,
Qui pour les coups du
désespoir
Sont aux malheureux si propices,
Quand la cruauté de leur sort
Les force à rechercher la mort.
Que je trouve doux le ravage
De ces fiers torrents vagabonds,
Qui se précipitent par bonds
Dans ce vallon
vert et sauvage,
Puis glissant sous les arbrisseaux,
Ainsi que des serpents sur l'herbe,
Se changent en
plaisants ruisseaux,
Où quelque Naïade superbe
Règne comme en son lit natal,
Dessus un trône de crystal!
Que j'aime ce marais paisible!
Il est tout bordé d'aliziers,
D'aulnes, de saules et d'oziers,
A qui le fer n'est
point nuisible.
Les nymphes, y cherchant le frais,
S'y viennent fournir de quenouilles,
De pipeaux, de joncs
et de glais;
Où l'on voit sauter les grenouilles,
Qui de frayeur s'y vont cacher
Sitôt qu'on veut s'en approcher.
Là, cent mille oiseaux aquatiques
Vivent sans craindre, en leur repos,
Le giboyeur fin et dispos,
Avec ses
mortelles pratiques.
L'un, tout joyeux d'un si beau jour,
S'amuse à becqueter sa plume;
L'autre alentit le feu
d'amour
Qui dans l'eau même se consume,
Et prennent tout innocemment
Leur plaisir en cet élément.
Jamais l'été ni la froidure
N'ont vu passer dessus cette eau
Nulle charrette ni bateau,
Depuis que l'un et
l'autre dure;
Jamais voyageur altéré
N'y fit servir sa main de tasse;
Jamais chevreuil désespéré
N'y finit sa vie à
la chasse;
Et jamais le traître hameçon
N'en fit sortir aucun poisson
Que j'aime à voir la décadence
De ces vieux châteaux ruinés,
Contre qui les ans mutinés
Ont déployé leur insolence!
Les
sorciers y font leur sabbat;
Les démons follets s'y retirent,
Qui d'un malicieux ébat
Trompent nos sens et
nous martyrent;
Là se nichent en mille trous
Les couleuvres et les hiboux.
L'orfraie, avec ses cris funèbres,
Mortels augures des destins,
Fait rire et danser les lutins
Dans ces lieux
remplis de ténèbres.
Sous un chevron de bois maudit
Y branle le squelette horrible
D'un pauvre amant qui
se pendit
Pour une bergère insensible,
Qui d'un seul regard de pitié
Ne daigna voir son amitié ...
Tantôt, sortant de ces ruines,
Je monte au haut de ce rocher,
Dont le sommet semble chercher
En quel lieu
se font les bruines;
Puis je descends tout à loisir
Sous une falaise escarpée,
D'où je regarde avec plaisir
L'onde
qui l'a presque sapée,
Jusqu'au siège de Palémon,
Fait d'éponges et de limon.
Que c'est une chose agréable
D'être sur le bord de la mer,
Quand elle vient à se calmer
Après quelque orage
effroyable,
Et que les chevelus Tritons,
Hauts, sur les vagues secouées,
Frappent les airs d'étranges tons
Avec
leurs trompes enrouées,
Dont l'éclat rend respectueux
Les vents les plus impétueux!
Tantôt l'onde, brouillant l'arène,
Murmure et frémit de courroux,
Se roulant dessus les cailloux
Qu'elle apporte
et qu'elle rentraîne.
Tantôt elle étale en ses bords,
Que l'ire de Neptune outrage,
Des gens noyés, des monstres
morts,
Des diamants, de l'ambre gris
Et mille autres choses de prix.
Tantôt, la plus claire du monde,
Elle semble un miroir flottant,
Et nous représente l'instant
Encore d'autres
cieux sous l'onde.
Le soleil s'y fait si bien voir,
Y contemplant son beau visage,
Qu'on est quelque temps à
savoir
Si c'est lui-même, ou son image,
Et d'abord il semble à nos yeux
Qu'il s'est laissé tomber des cieux.
Bernières, pour qui je me vante
De ne rien faire que de beau,
Reçois ce fantasque tableau
Fait d'une peinture
vivante.
Je ne cherche que les déserts,
Où, rêvant tout seul, je m'amuse
A des discours assez diserts
De mon
génie avec la muse;
Mais mon plus aimable entretien
C'est le ressouvenir du tien.