Guillaume Colletet
143 Sonnets
La Maison de Ronsard
i
JE ne vois rien ici qui ne flatte mes yeux;
Cette cour du balustre est gaie et magnifique,
Ces superbes
lions qui gardent ce portique
Adoucissent pour moi leurs regards furieux. Le feuillage, animé d'un vent délicieux,
Joint au chant des oiseaux sa tremblante musique;
Ce parterre de
fleurs, par un secret magique,
Semble avoir dérobé les étoiles des cieux.
L'aimable promenoir de ces doubles allées,
Qui de profanes pas n'ont point été foulées,
Garde encor, ô Ronsard,
les vestiges des tiens.
Désir ambitieux d'une gloire infinie!
Je trouve bien ici mes pas avec les siens,
Mais non pas, dans mes
vers, sa force et son génie.
144 ii AFIN de témoigner à la postéritè
Que je fus en mon temps partisan de ta gloire,
Malgré ces ignorants de
qui la bouche noire
Blasphème parmi nous contre ta déité; Je viens rendre à ton nom ce qu'il a mérité,
Belle âme de Ronsard, dont la sainte mémoire
Remportera du
temps une heureuse victoire,
Et ne se bornera que de l'éternité.
Attendant que le ciel mon désir favorise,
Que je te puisse voir dans les plaines d'Élise,
Ne t'ayant jamais vu
qu'en tes doctes écrits;
Belle âme, qu'Apollon ses grâces me refuse,
Si je n'adore en toi le roi des grands esprits,
Le père des beaux
vers et l'enfant de la Muse.