cette ville Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler; Car il parle, on l'entend: il sait danser, baller, Faire
des tours de toute sorte, Passer en des cerceaux; et le tout pour six blancs; Non, Messieurs, pour un
sou: si vous n'êtes contents Nous rendrons à chacun son argent à la porte.' Le singe avait raison. Ce n'est
pas sur l'habit Que la diversité me plaît, c'est dans l'esprit: L'une fournit toujours des choses agréables; L'autre,
en moins d'un moment, lasse les regardants. Oh! que de grands seigneurs, au léopard semblables, N'ont
que l'habit pour tous talents!
160 Les Animaux malades de la Peste UN mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel, en sa fureur, Inventa
pour punir les crimes de la terre, La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom), Capable d'enrichir en un
jour l'Achéron, Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés: On n'en
voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie: Nul mets n'excitait leur envie; Ni loups ni
renards n'épiaient La
douce et l'innocente proie; Les tourterelles se fuyaient: Plus d'amour; partant, plus de joie. Le lion tint
conseil, et dit: `Mes chers amis, Je crois que le ciel a permis Pour nos péchés cette infortune. Que le plus
coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux: Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire
nous apprend qu'en de tels accidents On fait de pareils dévouements. Ne nous flattons donc point; voyons
sans indulgence L'état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons, J'ai dévoré force moutons. Que
m'avaient-ils fait? Nulle offense; Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le berger. Je me dévouerai donc,
s'il le faut; mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi; Car on doit souhaiter, selon
toute justice, Que le plus coupable périsse. -- Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi; Vos scrupules font
voir trop de délicatesse. Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché? Non, non. Vous
leur fîtes, Seigneur, En les croquant, beaucoup d'honneur; Et quant au berger, l'on peut dire Qu'il était digne
de tous maux, Étant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire.' Ainsi dit le renard; et
flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir
Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances Les moins pardonnables offenses: Tous les gens querelleurs,
jusqu'aux simples mâtins, Au dire de chacun, étaient de petits saints. L'âne vint à son tour, et dit: `J'ai souvenance Qu'en
un pré de moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense, Quelque diable aussi me poussant, Je
tondis de ce pré la largeur de ma langue; Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.' A ces mots, on
cria haro sur le baudet. Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit
animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable, Manger l'herbe
d'autrui! quel crime abominable! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait. On le lui fit bien
voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
161 Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes UN octogénaire plantait. `Passe encor de bâtir; mais planter à
cet âge! Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage: Assurément il radotait. `Car, au nom des dieux, je
vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir? Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir. A
quoi bon charger votre vie
Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous? Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées; Quittez le
long espoir et les vastes pensées; Tout cela ne convient qu'à nous. -- Il ne convient pas à vous-mêmes, Repartit
le vieillard. Tout établissement Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes De vos jours et des
miens se joue également. Nos termes sont pareils par leur courte durée. Qui de nous des clartés de la voûte
azurée Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment Qui vous puisse assurer d'un second seulement? Mes
arrière-neveux me devront cet ombrage: Eh bien! défendez-vous au sage De se donner des soins pour le
plaisir d'autrui? Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui: J'en puis jouir demain, et quelques jours
encore; Je puis enfin compter l'aurore Plus d'une fois sur vos tombeaux.' Le vieillard eut raison: l'un des
trois jouvenceaux Se noya dès le port, allant à l'Amérique; L'autre, afin de monter aux grandes dignités, Dans
les emplois de Mars servant la république, Par un coup imprévu vit ses jours emportés; Le troisième tomba
d'un arbre Que lui-même il voulut enter; Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens
de raconter.
162 L'Alouette et ses petits avec le Maître d'un champ NE t'attends qu'à toi seul: c'est un
commun proverbe. Voici comme Ésope le mit En crédit. Les Alouettes font leur nid Dans les blés quand ils
sont en herbe, C'est-à-dire environ le temps Que tout aime et que tout pullule dans le monde: Monstres
|