Antoinette du Ligier de la Garde, Dame Deshoulières

167   Allégorie

DANS ces prés fleuris
Qu'arrose la Senne,
Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis.

J'ai fait, pour vous rendre
Le Destin plus doux,
Ce qu'on peut attendre
D'une amitié tendre:
Mais son long courroux
Détruit, empoisonne
Tous mes soins pour vous
Et vous abandonne
Aux fureurs des loups.
Seriez- vous leur proie,
Aimable troupeau,
Vous de ce hameau
L'honneur et la joie;
Vous qui, gras et beau,
Me donniez sans cesse,
Sur l'herbette épaisse
Un plaisir nouveau?

Que je vous regrette!
Mais il faut céder:
Sans chien, sans houlette,
Puis-je vous garder?
L'injuste Fortune
Me les a ravis.
En vain j'importune
Le Ciel par mes cris;
Il rit de mes plaintes,
Et, sourd à mes craintes,
Houlette ni chien,
Il ne me rend rien.

Puissiez-vous, contentes,
Et sans mon secours,

Passer d'heureux jours,
Brebis innocentes,
Brebis, mes amours!
Que Pan vous défende:
Hélas! il le sait,
Je ne lui demande
Que ce seul bienfait.

Oui, brebis chéries,
Qu'avec tant de soin
J'ai toujours nourries,
Je prends à témoin
Ces bois, ces prairies,
Que si les faveurs
Du dieu des pasteurs
Vous gardent d'outrages
Et vous font avoir,
Du matin au soir,
De gras pâturages,
J'en conserverai,
Tant que je vivrai,
La douce mémoire;
Et que mes chansons,
En mille facons,
Porteront sa gloire
Du rivage heureux
Où, vif et pompeux,
L'astre qui mesure
Les nuits et les jours.
Commencant son cours,
Rend à la nature
Toute sa parure,
Jusqu'en ces climats

Où, sans doute las
D'éclairer le monde,
Il va chez Téthys
Rallumer dans l'onde
Ses feux amortis.


  By PanEris using Melati.

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