Nicolas Boileau-Despréaux
168 Chanson VOICI les lieux charmants, où mon âme ravie Passait à contempler Sylvie Ces tranquilles moments
si doucement perdus. Que je l'aimais alors! Que je la trouvais belle! Mon coeur, vous soupirez au nom
de l'infidèle: Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus? C'est ici que souvent errant dans les prairies, Ma main des fleurs les plus chéries Lui faisait des présents
si tendrement recus. Que je l'aimais alors! Que je la trouvais belle! Mon coeur, vous soupirez au nom de
l'infidèle: Avez-vous oublié que vous ne l'aimez plus?
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Épître à M. RacineQUE tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur, Émouvoir, étonner, ravir un spectateur! Jamais
Iphigénie, en Aulide immolée, N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée, Que, dans l'heureux spectacle à nos
yeux étalé, En a fait sous son nom verser la Champmelé. Ne crois pas toutefois, par tes savans ouvrages, Entraînant
tous les coeurs, gagner tous les suffrages. Sitôt que d'Apollon un génie inspiré Trouve loin du vulgaire un
chemin ignoré, En cent lieux contre lui les cabales s'amassent; Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent; Et
son trop de lumière, importunant les yeux, De ses propres amis lui fait des envieux. La mort seule, ici bas,
en terminant sa vie, Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie; Faire au poids du bon sens peser tous
ses écrits, Et donner à ses vers leur légitime prix. Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière, Pour jamais
sous la tombe eût enfermé Molière, Mille de ses beaux traits, aujourd'hui si vantés, Furent des sots esprits à
nos yeux rebutés. L'ignorance et l'erreur à ses naissantes pièces En habits de marquis, en robes de comtesses, Venaient
pour diffamer son chef-d'oeuvre nouveau, Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau. Le commandeur
voulait la scène plus exacte; Le vicomte indigné sortait au second acte; L'un, défenseur zélé des bigots mis en
jeu, Pour prix de ces bons mots le condamnait au feu, L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre, Voulait
venger la cour immolée au parterre. Mais, sitôt que d'un trait de ses fatales mains La Parque l'eut rayé du
nombre des humains, On reconnut le prix de sa muse éclipsée. L'aimable Comédie, avec lui terrassée, En vain
d'un coup si rude espéra revenir, Et sur ses brodequins ne put plus se tenir. Tel fut chez nous le sort du
théätre comique. Toi donc, qui t'élevant sur la scène tragique, Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits, De Corneille vieilli sais consoler Paris: Cesse de
t'étonner si l'envie animée, Attachant à ton nom sa rouille envenimée, La calomnie en main, quelquefois te
poursuit. En cela, comme en tout, le ciel qui nous conduit, Racine, fait briller sa profonde sagesse. Le
mérite en repos s'endort dans la paresse; Mais par les envieux un génie excité Au comble de son art est
mille fois monté: Plus on veut l'affaiblir, plus il croît et s'élance. Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance; Et
peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus. Moi-même,
dont la gloire ici moins répandue Des pâles envieux ne blesse point la vue, Mais qu'une humeur trop libre,
un esprit peu soumis, De bonne heure a pourvu d'utiles ennemis, Je dois plus à leur haine, il faut que je
l'avoue, Qu'au faible et vain talent dont la France me loue Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher, Tous
les jours en marchant m'empêche de broncher. Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde, Que d'un
oeil dangereux leur troupe me regarde. Je sais sur leurs avis corriger mes erreurs, Et je mets à profit leurs
malignes fureurs. Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre, C'est en me guérissant que je sais leur
répondre; Et plus en criminel ils pensent m'ériger, Plus, croissant en vertu, je songe à me venger. Imite mon
exemple; et lorsqu'une cabale, Un flot de vains auteurs follement te ravale, Profite de leur haine et de leur
mauvais sens, Ris du bruit passager de leurs cris impuissans. Que peut contre tes vers une ignorance
vaine? Le Parnasse francais, ennobli par ta veine, Contre tous ces complots saura se maintenir, Et soulever
pour toi l'équitable avenir. Et qui, voyant un jour la douleur vertueuse De Phèdre malgré soi perfide, incestueuse, D'un
si noble travail justement étonné, Ne bénira d'abord le siècle fortuné Qui, rendu plus fameux par tes illustres
veilles, Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles? Cependant laisse ici gronder quelques censeurs Qu'aigrissent
de tes vers les charmantes douceurs. Et qu'importe à nos vers que Perrin les admire; Que l'auteur de
Jonas s'empresse pour les lire; Qu'ils charment de Senlis le poète idiot, Ou le sec traducteur du francais
d'Amyot: Pourvu qu'avec éclat leurs rimes débitées Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées; Pourvu
qu'ils puissent plaire au plus puissant des rois; Qu'à Chantilly Condé les souffre quelquefois; Qu'Enghien
en soit touché; que Colbert et Vivonne, Que La Rochefoucauld, Marsillac et Pomponne, Et mille autres
qu'ici je ne puis faire entrer A leurs traits délicats se laissent pénétrer? Et plût au ciel encor, pour couronner
l'ouvrage, Que Montausier voulût leur donner son suffrage! C'est à de tels lecteurs que j'offre mes écrits. Mais
pour un tas grossier de frivoles esprits, Admirateurs zélés de toute oeuvre insipide, Que, non loin de la place
où Brioché préside, Sans chercher dans les vers ni cadence ni son, Il s'en aille admirer le savoir de Pradon!
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