177 A la Solitude de Fontenay C'EST toi qui me rends à moi-même;
Tu calmes mon coeur agité;
Et de ma
seule oisiveté
Tu me fais un bonheur extrême. Parmi ces bois et ces hameaux
C'est là que je commence à vivre;
Et j'empêcherai de m'y suivre
Le souvenir
de tous mes maux.
Emplois, grandeurs tant désirées,
J'ai connu vos illusions;
Je vis loin des préventions
Qui forgent vos chaînes
dorées.
La cour ne peut plus m'éblouir;
Libre de son joug le plus rude,
J'ignore ici la servitude
De louer qui je dois
haïr.
Fils des dieux, qui de flatteries
Repaissez votre vanité,
Apprenez que la vérité
Ne s'entend que dans nos
prairies.
Grotte d'où sort ce clair ruisseau,
De mousse et de fleurs tapissée,
N'entretiens jamais ma pensée
Que du
murmure de son eau.
Bannissons la flatteuse idée
Des honneurs que m'avaient promis
Mon savoir-faire et mes amis,
Tous deux
maintenant en fumée.
Je trouve ici tous les plaisirs
D'une condition commune;
Avec l'éclat de ma fortune
Je mets au niveau mes
désirs.
Ah! quelle riante peinture
Chaque jour se montre à mes yeux,
Des trésors dont la main des Dieux
Se plaît
d'enrichir la nature!
Quel plaisir de voir les troupeaux,
Quand le midi brûle l'herbette,
Rangés autour de la houlette,
Chercher le
frais sous ces ormeaux;
Puis sur le soir, à nos musettes
Ouïr répondre les coteaux,
Et retentir tous nos hameaux
De hautbois et de
chansonnettes!
Mais hélas! ces paisibles jours
Coulent avec trop de vitesse;
Mon indolence et ma paresse
N'en peuvent
suspendre le cours.
Déjà la vieillesse s'avance;
Et je verrai dans peu la mort
Exécuter l'arrêt du sort,
Qui m'y livre sans espérance.
Fontenay, lieu délicieux,
Où je vis d'abord la lumière,
Bientôt, au bout de ma carrière,
Chez toi je joindrai mes
aïeux.
Muses, qui dans ce lieu champêtre
Avec soin me fîtes nourrir,
Beaux arbres, qui m'avaient vu naître,
Bientôt
vous me verrez mourir!
Cependant du frais de votre ombre
Il faut sagement profiter,
Sans regret, prêt à vous quitter
Pour ce manoir
terrible et sombre,
Où de ces arbres, dont exprès
Pour un doux et plus long usage
Mes mains ornèrent ce bocage,
Nul ne me
suivra qu'un cyprès.