François-Marie Arouet de Voltaire
181 A Madame du Châtelet SI vous voulez que j'aime encore, Rendez-moi l'âge des amours; Au crépuscule
de mes jours Rejoignez, s'il se peut, l'aurore. Des beaux lieux où le dieu du vin Avec l'Amour tient son empire, Le Temps, qui me prend par la main, M'avertit
que je me retire.
De son inflexible rigueur Tirons au moins quelque avantage. Qui n'a pas l'esprit de son âge De son âge a
tout le malheur.
Laissons à la belle jeunesse Ses folâtres emportements: Nous ne vivons que deux moments; Qu'il en soit un
pour la sagesse.
Quoi! pour toujours vous me fuyez, Tendresse, illusion, folie, Dons du ciel, qui me consoliez Des amertumes
de la vie!
On meurt deux fois, je le vois bien: Cesser d'aimer et d'être aimable, C'est une mort insupportable; Cesser
de vivre, ce n'est rien.
Ainsi je déplorais la perte Des erreurs de mes premiers ans; Et mon âme, aux désirs ouverte, Regrettait ses égarements.
Du ciel alors daignant descendre, L'Amitié vint à mon secours; Elle était peut-être aussi tendre, Mais moins vive
que les Amours.
Touché de sa beauté nouvelle, Et de sa lumière éclairé, Je la suivis; mais je pleurai De ne pouvoir plus suivre
qu'elle.
182 Les Vous et les Tu PHILIS, qu'est devenu ce temps Où, dans un fiacre promenée, Sans laquais, sans
ajustements, De tes grâces seules ornée, Contente d'un mauvais soupé Que tu changeais en ambroisie, Tu te
livrais, dans ta folie, A l'amant heureux et trompé Qui t'avait consacré sa vie? Le ciel ne te donnait alors, Pour
tout rang et pour tous trésors, Que les agréments de ton âge, Un coeur tendre, un esprit volage, Un sein
d'albâtre, et de beaux yeux. Avec tant d'attraits précieux, Hélas! qui n'eût été friponne? Tu le fus, objet gracieux; Et (que l'Amour me le pardonne!) Tu sais que je t'en aimais mieux. Ah, madame! que votre vie, D'honneurs
aujourd'hui si remplie, Diffère de ces doux instants! Ce large suisse à cheveux blancs, Qui ment sans cesse à
votre porte, Philis, est l'image du Temps: On dirait qu'il chasse l'escorte Des tendres Amours et des Ris; Sous
vos magnifiques lambris Ces enfants tremblent de paraître. Hélas! je les ai vus jadis Entrer chez toi par
la fenêtre, Et se jouer dans ton taudis. Non, madame, tous ces tapis Qu'a tissus la Savonnerie, Ceux que
les Persans ont ourdis, Et toute votre orfèvrerie, Et ces plats si chers que Germain A gravés de sa main
divine, Et ces cabinets où Martin A surpassé l'art de la Chine; Vos vases japonais et blancs, Toutes ces fragiles
merveilles; Ces deux lustres de diamants Qui pendent à vos deux oreilles; Ces riches carcans, ces colliers, Et
cette pompe enchanteresse, Ne valent pas un des baisers Que tu donnais dans ta jeunesse.
Épirgrammes
183 i DANCHET, si méprisé jadis, Fait voir aux pauvres de génie Qu'on peut gagner l'Académie Comme on
gagne le Paradis.
184 ii (Sur un Christ habillé en Jésuite)
ADMIREZ l'artifice extrême De ces moines industrieux; Ils vous ont habillé
comme eux, Mon Dieu, de peur qu'on ne vous aime.
185 iii
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By PanEris
using Melati.
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