grâce aux dieux de nous l'avoir donnée.
Aussi, lorsque mon pouls inégal et pressé
Faisait peur à Tronchin, prés
de mon lit placé,
Quand la vieille Atropos, aux humains si sévère,
Approchait ses ciseaux de ma trame légère,
Il
a vu de quel air je prenais mon congé;
Il sait si mon esprit, mon coeur, était changé.
193 A Madame Lullin HÉ quoi! vous êtes étonnée
Qu'au bout de quatre-vingts hivers
Ma muse faible et surannée
Puisse encor fredonner
des vers?
Quelquefois un peu de verdure
Rit sous les glaçons de nos champs;
Elle console la nature,
Mais elle sèche
en peu de temps.
Un oiseau peut se faire entendre
Après la saison des beaux jours;
Mais sa voix n'a plus rien de tendre;
Il
ne chante plus ses amours.
Ainsi je touche encor ma lyre,
Qui n'obéit plus à mes doigts;
Ainsi j'essaye encor ma voix
Au moment même
qu'elle expire.
`Je veux dans mes derniers adieux,
Disait Tibulle à son amante,
Attacher mes yeux sur tes yeux,
Te presser
de ma main mourante.'
Mais quand on sent qu'on va passer,
Quand l'âme fuit avec la vie,
A-t-on des yeux pour voir Délie,
Et des
mains pour la caresser?
Dans ce moment chacun oublie
Tout ce qu'il a fait en santé,
Quel mortel s'est jamais flatté
D'un rendez-vous à
l'agonie?
Délie elle-même à son tour
S'en va dans la nuit éternelle,
En oubliant qu'elle fut belle,
Et qu'elle a vécu pour
l'amour.
Nous naissons, nous vivons, bergère,
Nous mourons sans savoir comment:
Chacun est parti du néant:
Où
va-t-il? ... Dieu le sait, ma chère.