Jean-Pierre Claris de Florian
200 Le Philosophe et le Chat-huant PERSÉCUTÉ, proscrit, chassé de son asile, Pour avoir appelé les choses
par leur nom, Un pauvre philosophe errait de ville en ville, Emportant avec lui tous ses biens, sa raison. Un
jour qu'il méditait sur le fruit de, ses veilles, (C'était dans un grand bois,) il voit un chat-huant Entouré de
geais, de corneilles, Qui le harcelaient en criant: `C'est
un coquin! c'est un impie, Un ennemi de la patrie! Il faut le plumer vif: oui, oui, plumons, plumons! Ensuite
nous le jugerons.' Et tous fondaient sur lui: la malheureuse bête, Tournant et retournant sa bonne et grosse
tête, Leur disait, mais en vain, d'excellentes raisons. Touché de son malheur, car la philosophie Nous rend
plus doux et plus humains, Notre sage fait fuir la cohorte ennemie, Puis dit au chat-huant: `Pourquoi ces
assassins En voulaient-ils à votre vie? Que leur avez-vous fait?' L'oiseau lui répondit: `Rien du tout. Mon seul
crime est d'y voir clair la nuit.'
201 Le Rol de Perse UN roi de Perse, certain jour, Chassait avec toute sa cour. Il eut soif, et dans cette
plaine On ne trouvait point de fontaine. Près de là seulement était un grand jardin Rempli de beaux cédrats,
d'oranges, de raisin: `A Dieu ne plaise que j'en mange! Dit le roi; ce jardin courrait trop de danger: Si je me
permettais d'y cueillir une orange, Mes vizirs aussitôt mangeraient le verger.'
202 Le Phénix LE Phénix, venant d'Arabie, Dans nos bois parut un beau jour: Grand bruit chez les oiseaux,
leur troupe réunie Vole pour lui faire sa cour. Chacun l'observe, l'examine: Son plumage, sa voix, son chant
mélodieux, Tout est beauté, grâce divine, Tout charme l'oreille et les yeux. Pour la première fois on vit céder
l'envie Au besoin de louer et d'aimer son vainqueur. Le rossignol disait: `Jamais tant de douceur N'enchanta
mon âme ravie. -- Jamais, disait le paon, de plus belles couleurs N'ont eu cet éclat que j'admire: Il éblouit mes
yeux et toujours les attire.' Les autres répétaient ces éloges flatteurs, Vantaient le privilège unique De ce roi
des oiseaux, de cet enfant du ciel, Qui, vieux, sur un bûcher de cèdre aromatique Se consume lui-même et
renaît immortel. Pendant tous ces discours, la seule tourterelle, Sans rien dire, fit un soupir. Son époux, la
poussant de l'aile, Lui demande d'où peut venir Sa rêverie et sa tristesse: `De cet heureux oiseau désires-tu
le sort? -- Moi! mon ami, je le plains fort: Il est le seul de son espèce.'
|
|
By PanEris
using Melati.
|
|
|
|
Copyright: All texts on Bibliomania are © Bibliomania.com Ltd,
and may not be reproduced in any form without our written permission.
See our FAQ for more details.
|
|