André Chénier
204 La Feune Tarentine PLEUREZ, doux alcyons! ô vous, oiseaux sacrés! Oiseaux chers à Téthys, doux
alcyons, pleurez! Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine! Un vaisseau la portait aux bords de Camarine: Là, l'hymen, les chansons,
les flûtes, lentement Devaient la reconduire au seuil de son amant. Une clef vigilante a, pour cette journée, Dans
le cèdre enfermé sa robe d'hyménée, Et l'or dont au festin ses bras seraient parés, Et pour ses blonds cheveux
les parfums préparés. Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles, Le vent impétueux qui soufflait dans les
voiles L'enveloppe: étonnée et loin des matelots, Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.
Q Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine! Son beau corps a roulé sous la vague marine. Téthys, les
yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher Aux monstres dévorants eut soin de le cacher. Par ses ordres
bientôt les belles Néréides L'élèvent au-dessus des demeures humides, Le portent au rivage, et dans ce monument L'ont
au cap du Zéphyr déposé mollement; Puis de loin, à grands cris appelant leurs compagnes, Et les nymphes
des bois, des sources, des montagnes, Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil, Répétèrent, hélas!
autour de son cercueil:
`Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée, Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée, L'or autour de tes bras
n'a point serré de noeuds, Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux.'
205 Clytie MES Mânes à Clytie: `Adieu, Clytie, adieu. Est-ce toi dont les pas ont visité ce lieu? Parle, est-ce
toi, Clytie, ou dois-je attendre encore? Ah! si tu ne viens pas seule ici, chaque aurore, Rêver au peu de
jours où j'ai vécu pour toi, Voir cette ombre qui t'aime et parler avec moi, D'Élysée à mon coeur la paix devient
amère, Et la terre à mes os ne sera plus légère. Chaque fois qu'en ces lieux un air frais du matin Vient caresser
ta bouche et voler sur ton sein, Pleure, pleure, c'est moi; pleure, fille adorée; C'est mon âme qui fuit sa demeure
sacrée, Et sur ta bouche encore aime à se reposer. Pleure, ouvre-lui tes bras et rends-lui son baiser.'
206 La Mort d'Hercule OETA, mont ennobli par cette nuit ardente, Quand l'infidèle époux d'une épouse imprudente Reçut
de son amour un présent trop jaloux, Victime du centaure immolé par ses coups; Il brise tes forêts: ta cime épaisse
et sombre En un bûcher immense amoncelle sans nombre Les sapins résineux que son bras a ployés. Il
y porte la flamme; il monte: sous ses pieds Étend du vieux lion la dépouille héroïque, Et l'oeil au ciel, la main
sur la massue antique, Attend sa récompense et l'heure d'être un dieu. Le vent souffle et mugit. Le bûcher
tout en feu Brille autour du héros, et la flamme rapide Porte aux palais divins l'âme du grand Alcide!
207 Un Feune Homme J'ÉTAIS un faible enfant qu'elle était grande et belle; Elle me souriait et m'appelait
près d'elle. Debout sur ses genoux, mon innocente main Parcourait ses cheveux, son visage, son sein, Et
sa main quelquefois, aimable et caressante, Feignait de châtier mon enfance imprudente. C'est devant
ses amants, auprès d'elle confus, Que la fière beauté me caressait le plus. Que de fois (mais, hélas! que
sent-on à cet âge?) Les baisers de sa bouche ont pressé mon visage! Et les bergers disaient, me voyant
triomphant: `Oh! que de biens perdus! O trop heureux enfant!'
208 La Flûte TOUJOURS ce souvenir m'attendrit et me touche, Quand lui-même, appliquant la flûte sur ma
bouche, Riant et m'asseyant sur lui, près de son coeur, M'appelait son rival et déjà son vainqueur. Il façonnait
ma lèvre inhabile et peu sûre A souffler une haleine harmonieuse et pure; Et ses savantes mains prenaient
mes jeunes doigts, Les levaient, les baissaient, recommençaient vingt fois, Leur enseignant ainsi, quoique
faibles encore, A fermer tour à tour les trous du buis sonore.
209 L'Aveugle DIEU dont l'arc est d'argent, dieu de Claros, écoute. O Sminthée-Apollon, je périrai sans doute, Si
tu ne sers de guide à cet aveugle errant. -- C'est ainsi qu'achevait l'Aveugle en soupirant, Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre S'asseyait.
Trois pasteurs, enfants de cette terre, Le suivaient, accourus aux abois turbulents Des molosses, gardiens
de leurs troupeaux bêlants. Ils avaient, retenant leur fureur indiscrète, Protégé du vieillard la faiblesse inquiète: Ils
l'écoutaient de loin, et s'approchant de lui: `Quel est ce vieillard blanc, aveugle et sans appui? Serait-ce un
habitant de l'empire céleste? Ses traits sont grands et fiers; de sa ceinture agreste Pend une lyre informe,
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