voulait les confondre;
Ma bouche ne s'est point ouverte à leur répondre.
Ils n'ont pas entendu ma voix, et
sous ma main
J'ai retenu le dieu courroucé dans mon sein.
Cymé, puisque tes fils dédaignent Mnémosyne,
Puisqu'ils ont fait outrage à la muse divine,
Que leur vie et leur mort s'éteignent dans l'oubli;
Que ton nom
dans la nuit demeure enseveli!
--
Viens! Suis-nous à la ville; elle est toute voisine,
Et chérit les amis de la muse divine.
Un siège aux clous
d'argent te place à nos festins;
Et là les mets choisis, le miel et les bons vins,
Sous la colonne où pend une
lyre d'ivoire,
Te feront de tes maux oublier la mémoire.
Et si, dans le chemin, rapsode ingénieux,
Tu veux
nous accorder tes chants dignes des cieux
Nous dirons qu'Apollon, pour charmer les oreilles,
T'a lui-même
dicté de si douces merveilles.
--
Oui, je le veux; marchons. Mais où m'entraînez-vous?
Enfants du vieil aveugle, en quel lieu sommes-
nous?
--
Syros est l'île heureuse où nous vivons, mon père.
--
Salut, belle Syros, deux fois hospitaliè!
Car sur ses bords heureux je suis dèjà venu.
Amis, je la connais.
Vos pères m'ont connu!
Ils croissaient comme vous, mes yeux s'ouvraient encore
Au soleil, au printemps,
aux roses de l'aurore;
J'étais jeune et vaillant. Aux danses des guerriers,
A la course, aux combats, j'ai
paru des premiers.
J'ai vu Corinthe, Argos, et Crète, et les cent villes,
Et du fleuve Égyptus les rivages fertiles;
Mais
la terre et la mer, et l'âge et les malheurs,
Ont épuisé ce corps fatigué de douleurs.
La voix me reste. Ainsi la
cigale innocente,
Sur un arbuste assise, et se console et chante.
Commençons par les Dieux: Souverain
Jupiter,
Soleil qui vois, entends, connais tout, et toi, mer,
Fleuves, terre, et noirs dieux des vengeances trop lentes,
Salut!
Venez à moi, de l'Olympe habitantes,
Muses! vous savez tout, vous, déesses; et nous,
Mortels, ne savons
rien qui ne vienne de vous.'
Il poursuit; et déjà les antiques ombrages
Mollement en cadence inclinaient leurs feuillages;
Et pâtres oubliant
leur troupeau délaissé,
Et voyageurs quittant leur chemin commencé,
Couraient. Il les entend, près de son
jeune guide,
L'un sur l'autre pressés, tendre une oreille avide,
Et nymphes et sylvains sortaient pour l'admirer,
Et
l'écoutaient en foule, et n'osaient respirer:
Car en de longs détours de chansons vagabondes
Il enchaînait
de tout les semences fécondes,
Les principes du feu, les eaux, la terre et l'air,
Les fleuves descendus du
sein de Jupiter,
Les oracles, les arts, les cités fraternelles,
Et depuis le chaos les amours immortelles;
D'abord
le roi divin, et l'Olympe, et les cieux,
Et le monde, ébranlés d'un signe de ses yeux,
Et les Dieux partagés en
une immense guerre,
Et le sang plus qu'humain venant rougir la terre,
Et les rois assemblés, et sous les
pieds guerriers
Une nuit de poussière, et les chars meurtriers,
Et les héros armés, brillant dans les campagnes
Comme
un vaste incendie aux cimes des montagnes,
Les coursiers hérissant leur crinière à longs flots,
Et d'une voix
humaine excitant les héros;
De là, portant ses pas dans les paisibles villes,
Les lois, les orateurs, les récoltes
fertiles;
Mais bientôt de soldats les remparts entourés,
Les victimes tombant dans les parvis sacrés,
Et les assauts mortels aux épouses plaintives,
Et les mères
en deuil et les filles captives;
Puis aussi les moissons joyeuses, les troupeaux
Bêlants ou mugissants, les
rustiques pipeaux,
Les chansons, les festins, les vendanges bruyantes,
Et la flûte et la lyre, et les notes
dansantes.
Puis, déchaînant les vents à soulever les mers,
Il perdait les nochers sur les gouffres amers;
De là,
dans le sein frais d'une roche azurée,
En foule il appelait les filles de Nérée,
Qui bientôt, à ses cris, s'élevant sur
les eaux,
Aux rivages troyens parcouraient les vaisseaux;
Puis il ouvrait du Styx la rive criminelle,
Et puis
les demi-dieux et les champs d'asphodèle,
Et la foule des morts: vieillards seuls et souffrants,
Jeunes gens
emportés aux yeux de leurs parents,
Enfants dont au berceau la vie est terminée,
Vierges dont le trépas
suspendit l'hyménée.
Mais, ô bois, ô ruisseaux, ô monts, ô durs cailloux,
Quels doux frémissements vous agitèrent tous,
Quand bientôt à
Lemnos, sur l'enclume divine,
Il forgeait cette trame irrésistible et fine
Autant que d'Arachné les pièges inconnus,
Et
dans ce fer mobile emprisonnait Vénus!
Et quand il revêtit d'une pierre soudaine
La fière Niobé, cette mère