thébaine, Et quand il répétait en accents de douleurs De la triste Aédon l'imprudence et les pleurs, Qui, d'un
fils méconnu marâtre involontaire, Vola, doux rossignol, sous le bois solitaire; Ensuite, avec le vin, il versait
aux héros
Le puissant népenthès, oubli de tous les maux Il cueillait le moly, fleur qui rend l'homme sage; Du paisible
lotos il mêlait le breuvage: Les mortels oubliaient, à ce philtre charmés, Et la douce patrie et les parents aimés. Enfin
l'Ossa, l'Olympe, et les bois du Pénée Voyaient ensanglanter les banquets d'hyménée, Quand Thésée, au milieu
de la joie et du vin, La nuit où son ami reçut à son festin Le peuple monstrueux des enfants de la Nue, Fut
contraint d'arracher l'épouse demi-nue Au bras ivre et nerveux du sauvage Eurytus. Soudain, le glaive en
main, l'ardent Pirithoüs: `Attends; il faut ici que mon affront s'expie, Traître!' Mais avant lui, sur le centaure
impie, Dryas a fait tomber, avec tous ses rameaux, Un long arbre de fer hérissé de flambeaux. L'insolent
quadrupède en vain s'écrie; il tombe, Et son pied bat le sol qui doit être sa tombe. Sous l'effort de Nessus,
la table du repas Roule, écrase Cymèle, Évagre, Périphas. Pirithoüs égorge Antimaque, et Pétrée, Et Cyllare aux
pieds blancs, et le noir Macarée, Qui de trois fiers lions, dépouillés par sa main, Couvrait ses quatre flancs,
armait son double sein. Courbé, levant un roc choisi pour leur vengeance, Tout à coup, sous l'airain d'un
vase antique, immense, L'imprudent Bianor, par Hercule surpris, Sent de sa tête énorme éclater les débris; Hercule
et sa massue entassent en trophée Clanis, Démoléon, Lycothas, et Riphée Qui portait, sur ses crins de taches
colorés, L'héréditaire éclat des nuages dorés.
Mais d'un double combat Eurynome est avide, Car ses pieds agités en un cercle rapide Battent à coups
pressés l'armure de Nestor. Le quadrupède Hélops fuit. L'agile Crantor, Le bras levé, l'atteint. Eurynome l'arrête. D'un érable
noueux il va fendre sa tête, Lorsque le fils d'Égée, invincible, sanglant, L'aperçoit, à l'autel prend un chêne
brûlant, Sur sa croupe indomptée, avec un cri terrible, S'élance, va saisir sa chevelure horrible, L'entraîne,
et, quand sa bouche ouverte avec effort Crie, il y plonge ensemble et la flamme et la mort. L'autel est
dépouillé. Tous vont s'armer de flamme, Et le bois porte aux cieux des hurlements de femme, L'ongle frappant
la terre, et les guerriers meurtris, Et les vases brisés, et l'injure, et les cris.
Ainsi le grand vieillard, en images hardies, Déployait le tissu des saintes mélodies. Les trois enfants, émus à
son auguste aspect, Admiraient, d'un regard de joie et de respect, De sa bouche abonder les paroles
divines, Comme en hiver la neige aux sommets des collines. Et, partout accourus, dansant sur son chemin, Hommes,
femmes, enfants, les rameaux à la main, Et vierges et guerriers, jeunes fleurs de la ville, Chantaient: `Viens
dans nos murs, viens habiter notreîle; Viens, prophète éloquent, aveugle harmonieux, Convive du nectar,
disciple aimé des Dieux; Des jeux, tous les cinq ans, rendront saint et prospère Le jour où nous avons reçu le
grand Homère.'
210 Sur la mort d'un enfant L'INNOCENTE victime, au terrestre séjour, N'a vu que le printemps qui lui
donna le jour. Rien n'est resté de lui qu'un nom, un vain nuage, Un souvenir, un songe, une invisible image. Adieu,
fragile enfant échappé de nos bras; Adieu, dans la maison d'où l'on ne revient pas. Nous ne te verrons plus,
quand, de moissons couverte, La campagne d'été rend la ville déserte; Dans l'enclos paternel nous ne te
verrons plus, De tes pieds, de tes mains, de tes flancs demi-nus, Presser l'herbe et les fleurs dont les
nymphes de Seine Couronnent tous les ans les coteaux de Lucienne; L'axe de l'humble char à tes jeux
destiné, Par de fidèles mains avec toi promené, Ne sillonnera plus les prés et le rivage. Tes regards, ton murmure,
obscur et doux langage, N'inquiéteront plus nos soins officieux; Nous ne recevrons plus avec des cris joyeux Les
efforts impuissants de ta bouche vermeille A bégayer les sons offerts à ton oreille. Adieu, dans la demeure
où nous nous suivrons tous, Où ta mère déjà tourne ses yeux jaloux.
211 A Charlotte Corday QUOI! tandis que partout, ou sincères ou feintes, Des lâches, des pervers, les larmes
et les plaintes Consacrent leur Marat parmi les immortels, Et que, prêtre orgueilleux de cette idole vile, Des
fanges du Parnasse un impudent reptile Vomit un hymne infâme au pied de ses autels, La vérité se tait! Dans sa bouche glacée, Des liens de la peur sa langue embarrassée Dérobe un juste hommage
aux exploits glorieux! Vivre est-il donc si doux? De quel prix est la vie, Quand, sous un joug honteux, la
pensée asservie, Tremblante, au fond du coeur se cache à tous les yeux?
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