Marceline Desbordes-Valmore
219 Souvenir QUAND il pâlit un soir, et que sa voix tremblante
S'éteignit tout à coup dans un mot commencé;
Quand
ses yeux, soulevant leur paupière brûlante,
Me blessèrent d'un mal dont je le crus blessé;
Quand ses traits
plus touchants, éclairés d'une flamme
Qui ne s'éteint jamais,
S'imprimèrent vivants dans le fond de mon âme;
Il
n'aimait pas, j'aimais!
220 Élégie PEUT-ÊTRE un jour sa voix tendre et voilée
M'appellera sous de jeunes cyprès:
Cachée alors au fond
de la vallée,
Plus heureuse que lui, j'entendrai ses regrets.
Lentement, des coteaux je le verrai descendre;
Quand
il croira ses pas et ses voeux superflus,
Il pleurera! ses pleurs rafraîchiront ma cendre;
Enchaînée à ses
pieds, je ne le fuirai plus.
Je ne le fuirai plus: je l'entendrai, mon âme
Brûlante, autour de lui, voudra sécher
ses pleurs;
Et ce timide accent, qui trahissait ma flamme,
Il le reconnaîtra dans le doux bruit des fleurs. Oh! qu'il trouve un rosier mourant et solitaire;
Qu'il y cherche mon souffle et l'attire en son sein;
Qu'il
dise: `C'est pour moi qu'il a quitté la terre;
Ses parfums sont à moi, ce n'est plus un larcin.'
Qu'il dise: `Un jour à
peine il a bordé la rive
Son vert tendre égayait le limpide miroir;
Et ses feuilles déjà dans l'onde fugitive
Tombent: faible
rosier, tu n'as pas vu le soir!'
Alors, peut-être, alors l'hirondelle endormie,
A la voix d'un amant qui pleure son amie,
S'échappera du sein
des parfums précieux,
Emportant sa prière et ses larmes aux cieux:
Alors, rêvant aux biens que ce monde
nous donne,
Il laissera tomber sur le froid monument
Les rameaux affligés dont la gloire environne
Son
front triste et charmant.
Alors je resterai seule, mais consolée;
Les vents respecteront l'empreinte de ses pas.
Déjà je voudrais être au
fond de la vallée;
Déjà je l'attendrais ... Dieu! s'il n'y venait pas!
221 La Couronne effeuillée J'IRAI, j'irai porter ma couronne effeuillée
Au jardin de mon père où revit toute
fleur;
J'y répandrai longtemps mon âme agenouillée:
Mon père a des secrets pour vaincre la douleur. J'irai, j'irai lui dire, au moins avec mes larmes:
`Regardez, j'ai souffert ...' Il me regardera,
Et sous mes
jours changés, sous mes pâleurs sans charmes,
Parce qu'il est mon père il me reconnaîtra.
Il dira: `C'est donc vous, chère âme désolée!
La terre manque-t-elle à vos pas égarés?
Chère âme, je suis Dieu: ne
soyez plus troublée;
Voici votre maison, voici mon coeur, entrez!'
O clémence! ô douceur! ô saint refuge! ô Père!
Votre enfant qui pleurait vous l'avez entendu!
Je vous obtiens
déjà, puisque je vous espère
Et que vous possédez tout ce que j'ai perdu.
Vous ne rejetez pas la fleur qui n'est plus belle;
Ce crime de la terre au ciel est pardonnè.
Vous ne maudirez
pas votre enfant infidèle,
Non d'avoir rien vendu, mais d'avoir tout donné.
222 L'Oreiller d'une petite fille CHER petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plume choisie, et
blanc! et fait pour moi!
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors
bien sur toi! Beaucoup, beaucoup d'enfants pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir;
Ils
ont toujours sommeil. O destinée amère!
Maman! douce maman! cela me fait gémir.
Et quand j'ai prié Dieu pour tous ces petits anges
Qui n'ont pas d'oreiller, moi, j'embrasse le mien.
Seule,
dans mon doux nid qu'à tes pieds tu m'arranges,
Je te bénis, ma mère, et je touche le tien.
Je ne m'éveillerai qu'à la lueur première
De l'aube; au rideau bleu c'est si gai de la voir!
Je vais dire tout bas
ma plus tendre prière:
Donne encore un baiser, douce maman! Bonsoir!
Dieu des enfants! le coeur d'une petite fille,
Plein de prière (écoute!), est ici sous mes mains
On me parle
toujours d'orphelins sans famille:
Dans l'avenir, mon Dieu, ne fais plus d'orphelins!