225 La Cloche du village OH! quand cette humble cloche à la lente volée
Épand comme un soupir sa voix
sur la vallée,
Voix qu'arrête si près le bois ou le ravin;
Quand la main d'un enfant qui balance cette urne
En
verse à sons pieux dans la brise nocturne
Ce que la terre a de divin; Quand du clocher vibrant l'hirondelle habitante
S'envole au vent d'airain qui fait trembler sa tente,
Et de
l'étang ridé vient effleurer les bords,
Ou qu'à la fin du fil qui chargeait sa quenouille
La veuve du village à ce
bruit s'agenouille
Pour donner leur aumône aux morts:
Ce qu'éveille en mon sein le chant du toit sonore,
Ce n'est pas la gaîté du jour qui vient d'éclore,
Ce n'est
pas le regret du jour qui va finir,
Ce n'est pas le tableau de mes fraîches années
Croissant sur ces coteaux
parmi ces fleurs fanées
Qu'effeuille encor mon souvenir;
Ce n'est pas mes sommeils d'enfant sous ces platanes,
Ni ces premiers élans du jeu de mes organes,
Ni
mes pas égarés sur ces rudes sommets,
Ni ces grands cris de joie en aspirant vos vagues,
O brises du
matin pleines de saveurs vagues
Et qu'on croit n'épuiser jamais!
Ce n'est pas le coursier atteint dans la prairie,
Pliant son cou soyeux sous ma main aguerrie
Et mêlant
sa crinière à mes beaux cheveux blonds,
Quand, le sol sous ses pieds sonnant comme une enclume,
Sa
croupe m'emportait et que sa blanche écume
Argentait l'herbe des vallons!
Ce n'est pas même, amour, ton premier crépuscule,
Au mois où du printemps la sève qui circule
Fait fleurir la
pensée et verdir le buisson,
Quand l'ombre ou seulement les jeunes voix lointaines
Des vierges rapportant
leurs cruches des fontaines
Laissaient sur ma tempe un frisson.
Ce n'est pas vous non plus, vous que pourtant je pleure,
Premier bouillonnement de l'onde intérieure,
Voix
du coeur qui chantait en s'éveillant en moi,
Mélodieux murmure embaumé d'ambroisie
Qui fait rendre à sa
source un vent de poésie! ...
O gloire, c'est encor moins toi!
De mes jours sans regret que l'hiver vous remporte
Avec le chaume vide, avec la feuille morte,
Avec la
renommée, écho vide et moqueur!
Ces herbes du sentier sont des plantes divines
Qui parfument les pieds,
oui, mais dont les racines
Ne s'enfoncent pas dans le coeur!
Guirlandes du festin que pour un soir on cueille,
Que la haine empoisonne ou que l'envie effeuille,
Dont
vingt fois sous les mains la couronne se rompt,
Qui donnent à la vie un moment de vertige,
Mais dont la
fleur d'emprunt ne tient pas à la tige,
Et qui sèche en tombant du front.
*
C'est le jour où ta voix dans la vallée en larmes
Sonnait le désespoir après le glas d'alarmes,
Où deux cercueils
passant sous les coteaux en deuil,
Et bercés sur des coeurs par des sanglots de femmes,
Dans un double
sépulcre enfermèrent trois âmes
Et m'oublièrent sur le seuil! De l'aurore à la nuit, de la nuit à l'aurore,
O cloche, tu pleuras comme je pleure encore,
Imitant de nos coeurs
le sanglot étouffant;
L'air, le ciel, résonnaient de ta complainte amère,
Comme si chaque étoile avait perdu sa
mère,
Et chaque brise son enfant!
Depuis ce jour suprême où ta sainte harmonie
Dans ma mémoire en deuil à ma peine est unie,
Où ton timbre
et mon coeur n'eurent qu'un même son,
Oui, ton bronze sonore et trempé dans la flamme
Me semble, quand
il pleure, un morceau de mon âme
Qu'un ange frappe à l'unisson!