Je dors lorsque tu dors, je veille quand tu veilles; Ton glas est un ami qu'attendent mes oreilles; Entre
la voix des tours je démêle ta voix; Et ta vibration encore en moi résonne, Quand l'insensible bruit qu'un
moucheron bourdonne Te couvre déjà sous les bois!
Je me dis: `Ce soupir mélancolique et vague Que l'air profond des nuits roule de vague en vague, Ah! c'est
moi, pour moi seul, là-haut retentissant! Je sais ce qu'il me dit, il sait ce que je pense, Et le vent qui l'ignore, à
travers ce silence, M'apporte un sympathique accent.'
Je me dis: `Cet écho de ce bronze qui vibre, Avant de m'arriver au coeur de fibre en fibre, A frémi sur la
dalle où tout mon passé dort; Du timbre du vieux dôme il garde quelque chose: La pierre du sépulcre où mon
amour repose Sonne aussi dans ce doux accord!'
* Ne t'étonne donc pas, enfant, si ma pensée, Au branle de l'airain secrètement bercée, Aime sa voix mystique
et fidèle au trépas, Si dès le premier son qui gémit sous sa voûte Sur un pied suspendu je m'arrête, et j'écoute Ce
que la mort me dit tout bas. Et toi, saint porte-voix des tristesses humaines, Que la terre inventa pour mieux crier ses peines, Chante!
des coeurs brisés le timbre est encor beau! Que ton gémissement donne une âme à la pierre, Des larmes aux
yeux secs, un signe à la prière, Une mélodie au tombeau!
* Moi, quand des laboureurs porteront dans ma bière Le peu qui doit rester ici de ma poussière; Après tant
de soupirs que mon sein lance ailleurs, Quand des pleureurs gagés, froide et banale escorte, Déposeront
mon corps endormi sous la porte Qui mène à des soleils meilleurs, Si quelque main pieuse en mon honneur te sonne, Des sanglots de l'airain, oh! n'attriste personne, Ne
va pas mendier des pleurs à l'horizon; Mais prends ta voix de fête, et sonne sur ma tombe Avec le bruit
joyeux d'une chaîne qui tombe Au seuil libre d'une prison!
Ou chante un air semblable au cri de l'alouette Qui, s'élevant du chaume où la bise la fouette, Dresse à l'aube
du jour son vol mélodieux, Et gazouille ce chant qui fait taire d'envie Ses rivaux attachés aux ronces de la
vie, Et qui se perd au fond des cieux!
226 La Vigne et la Maison MOI QUEL fardeau te pèse, ô mon âme! Sur ce vieux lit des jours par l'ennui
retourné, Comme un fruit de douleurs qui pèse aux flancs de femme, Impatient de naître et pleurant d'être
né, La nuit tombe, ô mon âme! un peu de veille encore! Ce coucher d'un soleil est d'un autre l'aurore. Vois
comme avec tes sens s'écroule ta prison! Vois comme aux premiers vents de la précoce automne Sur les
bords de l'étang où le roseau frissonne S'envole brin à brin le duvet du chardon! Vois comme de mon front
la couronne est fragile Vois comme cet oiseau dont le nid est la tuile Nous suit pour emporter à son frileux
asile Nos cheveux blancs, pareils à la toison que file La vieille femme assise au seuil de sa maison! Dans
un lointain qui fuit ma jeunesse recule, Ma sève refroidie avec lenteur circule, L'arbre quitte sa feuille et
va nouer son fruit: Ne presse pas ces jours qu'un autre doigt calcule, Bénis plutôt ce Dieu qui place un
crépuscule Entre les bruits du soir et la paix de la nuit! Moi qui par des concerts saluai ta naissance, Moi
qui te réveillai neuve à cette existence Avec des chants de fête et des chants d'espérance, Moi qui fis de ton
coeur chanter chaque soupir, Veux-tu que, remontant ma harpe qui sommeille, Comme un David assis
près d'un Saül qui veille, Je chante encor pour t'assoupir? L'ÂME
Non! Depuis qu'en ces lieux le temps m'oublia seule, La terre m'apparaît vieille comme une aïeule Qui
pleure ses enfants sous ses robes de deuil. Je n'aime des longs jours que l'heure des ténèbres, Je n'écoute
des chants que ces strophes funèbres Que sanglote le prêtre en menant un cercueil.
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By PanEris
using Melati.
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