MOI
Pourtant le soir qui tombe a des langueurs sereines
Que la fin donne à tout, aux bonheurs comme aux
peines;
Le linceul même est tiède au coeur enseveli:
On a vidé ses yeux de ses dernières larmes,
L'âme à son
désespoir trouve de tristes charmes,
Et des bonheurs perdus se sauve dans l'oubli.
Cette heure a pour nos sens des impressions douces
Comme des pas muets qui marchent sur des mousses:
C'est
l'amère douceur du baiser des adieux.
De l'air plus transparent le cristal est limpide,
Des mots vaporisés
l'azur vague et liquide
S'y fond avec l'azur des cieux.
Je ne sais quel lointain y baigne toute chose,
Ainsi que le regard l'oreille s'y repose,
On entend dans
l'éther glisser le moindre vol;
C'est le pied de l'oiseau sur le rameau qui penche,
Ou la chute d'un fruit
détaché de la branche
Qui tombe du poids sur le sol.
Aux premières lueurs de l'aurore frileuse,
On voit flotter ces fils, dont la vierge fileuse
D'arbre en arbre au
verger a tissé le réseau:
Blanche toison de l'air que la brume encor mouille,
Qui traîne sur nos pas, comme
de la quenouille
Un fil traîne après le fuseau.
Aux précaires tiédeurs de la trompeuse automne,
Dans l'oblique rayon le moucheron foisonne,
Prêt à mourir
d'un souffle à son premier frisson;
Et sur le seuil désert de la ruche engourdie
Quelque abeille en retard,
qui sort et qui mendie,
Rentre lourde de miel dans sa chaude prison.
Viens, reconnais la place où ta vie était neuve!
N'as-tu point de douceur, dis-moi, pauvre âme veuve,
A remuer
ici la cendre des jours morts?
A revoir ton arbuste et ta demeure vide,
Comme l'insecte ailé revoit sa chrysalide,
Balayure
qui fut son corps?
Moi, le triste instinct m'y ramène.
Rien n'a changé là que le temps;
Des lieux où notre oeil se promène,
Rien n'a
fui que les habitants. Suis-moi du coeur pour voir encore,
Sur la pente douce au midi,
La vigne qui nous fit éclore
Ramper sur le
roc attiédi.
Contemple la maison de pierre
Dont nos pas usèrent le seuil:
Vois-la se vêtir de son lierre
Comme d'un vêtement
de deuil.
Écoute
le cri des vendanges
Qui monte du pressoir voisin,
Vois les sentiers rocheux des granges
Rougis
par le sang du raisin.
Regarde au pied du toit qui croule:
Voilà, près du figuier séché,
Le cep vivace qui s'enroule
A l'angle du mur ébréché!
L'hiver noircit sa rude écorce;
Autour du banc rongé du ver
Il contourne sa branche torse
Comme un serpent
frappé du fer.
Autrefois ses pampres sans nombre
S'entrelacaient autour du puits;
Père et mère goûtaient son ombre,
Enfants,
oiseaux, rongeaient ses fruits.
Il grimpait jusqu'à la fenêtre,
Il s'arrondissait en arceau;
Il semble encor nous reconnaître
Comme un chien
gardien d'un berceau.
Sur cette mousse des allées
Où rougit son pampre vermeil,
Un bouquet de feuilles gelées
Nous abrite encor
du soleil.
Vives glaneuses de novembre,
Les grives, sur la grappe en deuil,
Ont oublié ces beaux grains d'ambre
Qu'enfant
nous convoitions de l'oeil.