Le rayon du soir la transperce
Comme un albâtre oriental,
Et le sucre d'or qu'elle verse
Y pend en larmes
de cristal.
Sous ce cep de vigne qui t'aime,
O mon âme! ne crois-tu pas
Te retrouver enfin toi-même,
Malgré l'absence
et le trepas?
N'a-t-il pas pour toi le délice
Du brasier tiède et réchauffant
Qu'allume une vieille nourrice
Au foyer qui nous
vit enfant?
Ou l'impression qui console
L'agneau tondu hors de saison,
Quand il sent sur sa laine folle
Repousser sa
chaude toison?
L'ÂME
Que me fait le coteau, le toit, la vigne aride?
Que me ferait le ciel, si le ciel était vide?
Je ne vois
en ces lieux que ceux qui n'y sont pas;
Pourquoi ramènes-tu mes regrets sur leur trace?
Des bonheurs
disparus se rappeler la place,
C'est rouvrir des cercueils pour revoir des trépas!
I
Le mur est gris, la tuile est rousse,
L'hiver a rongé le ciment;
Des pierres disjointes la mousse
Verdit l'humide
fondement;
Les gouttières, que rien n'essuie,
Laissent, en rigoles de suie,
S'égoutter le ciel pluvieux,
Traçant
sur la vide demeure
Ces noirs sillons par où l'on pleure,
Que les veuves ont sous les yeux.
La porte où file l'araignée,
Qui n'entend plus le doux accueil,
Reste immobile et dédaignée
Et ne tourne plus
sur son seuil;
Les volets que le moineau souille,
Détachés de leurs gonds de rouille,
Battent nuit et jour ie
granit;
Les vitraux brisés par les grêles
Livrent aux vieilles hirondelles
Un libre passage à leur nid. Leur gazouillement sur les dalles
Couvertes de duvets flottants
Est la seule voix de ces salles
Pleines des
silences du temps.
De la solitaire demeure
Une ombre lourde d'heure en heure
Se détache sur le gazon:
Et
cette ombre, couchée et morte,
Est la seule chose qui sorte
Tout le jour de cette maison!
II
Efface ce séjour, ô Dieu! de ma paupière,
Ou rends-le-moi semblable à celui d'autrefois,
Quand la maison
vibrait comme un grand coeur de pierre
De tous ces coeurs joyeux qui battaient sous ses toits! A l'heure où la rosée au soleil s'évapore
Tous ces volets fermés s'ouvraient à sa chaleur,
Pour y laisser entrer,
avec la tiède aurore,
Les nocturnes parfums de nos vignes en fleur.
On eût dit que ces murs respiraient comme un être
Des pampres réjouis la jeune exhalaison;
La vie apparaissait
rose, à chaque fenêtre,
Sous les beaux traits d'enfants nichés dans la maison.
Leurs blonds cheveux, épars au vent de la montagne,
Les filles, se passant leurs deux mains sur les yeux,
Jetaient
des cris de joie à l'écho des montagnes,
Ou sur leurs seins naissants croisaient leurs doigts pieux.
La mère, de sa couche à ces doux bruits levée,
Sur ces fronts inégaux se penchait tour à tour,
Comme la poule
heureuse assemble sa couvée,
Leur apprenant les mots qui bénissent le jour.
Moins de balbutiements sortent du nid sonore,
Quand, au rayon d'été qui vient la réveiller,
L'hirondelle, au
plafond qui les abrite encore,
A ses petits sans plume apprend à gazouiller.
Et les bruits du foyer que l'aube fait renaître,
Les pas des serviteurs sur les degrés de bois,
Les aboiements
du chien qui voit sortir son maître,
Le mendiant plaintif qui fait pleurer sa voix,
Montaient avec le jour; et, dans les intervalles
Sous les doigts de quinze ans répétant leur leçon,
Les claviers
résonnaient ainsi que les cigales
Qui font tinter l'oreille au temps de la moisson!