`Hier j'avais douze armées,
Vingt forteresses fermées,
Trente ports, trente arsenaux ...
Aujourd'hui, pas une
obole,
Pas une lance espagnole,
Pas une tour à créneaux!
`Périsse la nuit fatale
Où, sur ma couche natale,
Je poussai le premier cri!
Maudite soit et périsse
La Castillane
nourrice
A qui d'abord j'ai souri!
`Ou plutôt, folle chimère!
Pourquoi le sein de ma mère
Ne fut-il pas mon tombeau? ...
Je dormirais sous la
terre,
Dans mon caveau solitaire,
Aux lueurs d'un saint flambeau,
`Avec les rois, mes ancêtres,
Avec les guerriers, les prêtres,
Dont le trépas fut pleuré;
Ma gloire eût été sauvée,
Et
l'Espagne préservée
De son Rodrigue abhorré!
`Et mon père, à ma naissance,
En grande réjouissance,
Fit partir deux cents hérauts!
Et des seigneurs très avares,
Aux
joutes des deux Navarres,
Firent tuer leurs taureaux!
`Chaque madone eut cent cierges,
On dota cent belles vierges
Pour cent archers courageux,
On donna
trois bals splendides,
On brûla trois juifs sordides ...
Ce n'étaient qu'amours et jeux!
`Ah! que Dieu m'entende et m'aide!
Ce fer est mon seul remède;
Mais saint Jacques le défend.
Ce que je
veux, je ne l'ose;
Car l'évêque de Tolose,
Qui m'a béni tout enfant,
`Promènerait sur la claie
Mon cadavre avec sa plaie,
Aux regards de tous les miens;
Puis, sur une grève
inculte,
Le livrerait à l'insulte
Des loups et des Bohémiens.
`Mais les trahisons ourdies,
Les chagrins, les maladies
Sauront bien me secourir:
Assez de honte environne
Un
front qui perd sa couronne,
Pour espérer d'en mourir.
`Car quelle duègne insensée
Me croirait l'humble pensée
De vivre avec des égaux? ...
Celui qui de si haut
tombe
De son poids creuse sa tombe ...
Mort au dernier roi des Goths!'