229 La Brigantine LA brigantine
Qui va tourner
Roule et s'incline
Pour m'entraîner.
O Vierge Marie,
Pour moi
priez Dieu!
Adieu, patrie!
Provence, adieu! Mon pauvre père
Verra souvent
Pâlir ma mère
Au bruit du vent.
O Vierge Marie,
Pour moi priez Dieu!
Adieu,
patrie!
Mon père, adieu!
La vieille Hélène
Se confîra
Dans sa neuvaine,
Et dormira.
O Vierge Marie,
Pour moi priez Dieu!
Adieu, patrie!
Hélène,
adieu!
Ma soeur se lève,
Et dit déjà:
`J'ai fait un rêve;
Il reviendra.'
O Vierge Marie,
Pour moi priez Dieu
Adieu, patrie!
Ma
soeur, adieu!
De mon Isaure
Le mouchoir blanc
S'agite encore
En m'appellant.
O Vierge Marie,
Pour moi priez Dieu!
Adieu,
patrie!
Isaure, adieu!
Brise ennemie,
Pourquoi souffler,
Quand mon amie
Veut me parler?
O Vierge Marie,
Pour moi priez Dieu!
Adieu,
patrie!
Bonheur, adieu!
230 Les Limbes COMME un vain rêve du matin,
Un parfum vague, un bruit lointain,
C'est
je ne sais quoi d'incertain
Que cet empire;
Lieux qu'à peine vient éclairer
Un jour qui, sans rien colorer,
A
chaque instant près d'expirer,
Jamais n'expire. Partout cette demi-clarté
Dont la morne tranquillité
Suit un crépuscule d'été,
Ou de l'aurore,
Fait pressentir que le
retour
Va poindre au céleste séjour,
Quand la nuit n'est plus, quand le jour
N'est pas encore!
Ce ciel terne, où manque un soleil,
N'est jamais bleu, jamais vermeil;
Jamais brise, dans ce sommeil
De la
nature,
N'agita d'un frémissement
La torpeur de ce lac dormant,
Dont l'eau n'a point de mouvement,
Point
de murmure.
L'air n'entr'ouvre sous sa tiédeur
Que fleurs qui, presque sans odeur,
Comme les lis ont la candeur
De
l'innocence;
Sur leur sein pâle et sans reflets
Languissent des oiseaux muets:
Dans le ciel, l'onde et les
forêts,
Tout est silence.
Loin de Dieu, là, sont renfermés
Les milliers d'êtres tant aimés,
Qu'en ces bosquets inanimés
La tombe envoie.
Le
calme d'un vague loisir,
Sans regret comme sans désir,
Sans peine comme sans plaisir,
C'est là leur joie.
Là, ni veille ni lendemain!
Ils n'ont sur un bonheur prochain,
Sur celui qu'on rappelle en vain,
Rien à se dire.
Leurs
sanglots ne troublent jamais
De l'air l'inaltérable paix;
Mais aussi leur rire jamais
N'est qu'un sourire.
Sur leurs doux traits que de pâleur!
Adieu cette fraîche couleur
Qui de baiser leur joue en fleur
Donnait
l'envie!
De leurs yeux, qui charment d'abord,
Mais dont aucun éclair ne sort,
Le morne éclat n'est pas la
mort,
N'est pas la vie.
Rien de bruyant, rien d'agité
Dans leur triste félicité!
Ils se couronnent sans gaîté
De fleurs nouvelles.
Ils se
parlent, mais c'est tout bas;
Ils marchent, mais c'est pas à pas;
Ils volent, mais on n'entend pas
Battre leurs
ailes.
Parmi tout ce peuple charmant,
Qui se meut si nonchalamment,
Qui fait sous son balancement
Plier les
branches,
Quelle est cette ombre aux blonds cheveux,
Au regard timide, aux yeux bleus,
Qui ne mêle pas à
leurs jeux
Ses ailes blanches?
Elle arrive, et, fantôme ailé,
Elle n'a pas encor volé;
L'effroi dont son coeur est troublé,
J'en vois la cause:
N'est-
ce pas celui que ressent
La colombe qui, s'avançant
Pour essayer son vol naissant,
Voudrait et n'ose?
Non; dans ses yeux roulent des pleurs.
Belle enfant, calme tes douleurs;
Là sont des fruits, là sont des fleurs
Dont
tu disposes.
Laisse-toi tenter, et, crois-moi,
Cueille ces roses sans effroi;
Car, bien que pâles comme toi,
Ce
sont des roses.