231 Moïse LE soleil prolongeait sur la cime des tentes
Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,
Ces
larges traces d'or qu'il laisse dans les airs,
Lorsqu'en un lit de sable il se couche aux déserts.
La pourpre
et l'or semblaient revêtir la campagne.
Du stérile Nébo gravissant la montagne,
Moïse, homme de Dieu, s'arrête,
et, sans orgueil,
Sur le vaste horizon promène un long coup d'oeil.
Il voit d'abord Phasga, que des figuiers
entourent;
Puis, au delà des monts que ses regards parcourent,
S'étend tout Galaad, Éphraïm, Manassé,
Dont
le pays fertile à sa droite est placé;
Vers le Midi, Juda, grand et stérile, étale
Ses sables où s'endort la mer
occidentale;
Plus loin dans un vallon que le soir a pâli,
Couronné d'oliviers, se montre Nephtali;
Dans des
plaines de fleurs magnifiques et calmes,
Jéricho s'aperçoit: c'est la ville des palmes;
Et, prolongeant ses
bois, des plaines de Phogor
Le lentisque touffu s'étend jusqu'à Ségor.
Il voit tout Chanaan, et la terre promise,
Où
sa tombe, il le sait, ne sera point admise.
Il voit; sur les Hébreux étend sa grande main,
Puis vers le haut du
mont il reprend son chemin. Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte,
Pressés au large pied de la montagne sainte,
Les enfants d'Israël s'agitaient au vallon
Comme les blés épais qu'agite l'aquilon.
Dès l'heure où la rosée humecte
l'or des sables
Et balance sa perle au sommet des érables,
Prophète centenaire, environné d'honneur,
Moïse était
parti pour trouver le Seigneur.
On le suivait des yeux aux flammes de sa tête,
Et, lorsque du grand
mont il atteignit le faîte,
Lorsque son front perça le nuage de Dieu
Qui couronnait d'éclairs la cime du haut
lieu,
L'encens brûla partout sur les autels de pierre.
Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,
A
l'ombre du parfum par le soleil doré,
Chantèrent d'une voix le cantique sacré;
Et les fils de Lévi, s'élevant sur la
foule,
Tels qu'un bois de cyprès sur le sable qui roule,
Du peuple avec la harpe accompagnant les voix,
Dirigeaient
vers le ciel l'hymne du Roi des Rois.
Et debout devant Dieu, Moïse ayant pris place,
Dans le nuage obscur lui parlait face à face.
Il disait au Seigneur: `Ne finirai-je pas?
Où voulez-vous encor que je porte mes pas?
Je vivrai donc toujours
puissant et solitaire?
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre.--
Que vous ai-je donc fait pour être
votre élu?
J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu.
Voilà que son pied touche à la terre promise.
De vous à
lui qu'un autre accepte l'entremise,
Au coursier d'Israël qu'il attache le frein;
Je lui lègue mon livre et la
verge d'airain.
`Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances,
Ne pas me laisser homme avec mes ignorances,
Puisque du
mont Horeb jusques au mont Nébo
Je n'ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau?
Hélas! Vous m'avez
fait sage parmi les sages!
Mon doigt du peuple errant a guidé les passages;
J'ai fait pleuvoir le feu sur la
tête des rois;
L'avenir à genoux adorera mes lois;
Des tombes des humains j'ouvre la plus antique,
La mort
trouve à ma voix une voix prophétique,
Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations,
Ma main fait et
défait les générations. --
Hélas! je suis, Seigneur, puissant et solitaire,
Laissez-moi m'endormir du sommeil de
la terre!
`Hélas! je sais aussi tous les secrets des cieux,
Et vous m'avez prêté la force de vos yeux.
Je commande à la
nuit de déchirer ses voiles;
Ma bouche par leur nom a compté les étoiles,
Et, dès qu'au firmament mon geste
l'appela,
Chacune s'est hâtée en disant "Me voilà."
J'impose mes deux mains sur le front des nuages
Pour
tarir dans leurs flancs la source des orages;
J'engloutis les cités sous les sables mouvants;
Je renverse
les monts sous les ailes des vents;
Mon pied infatigable est plus fort que l'espace;
Le fleuve aux grandes
eaux se range quand je passe,
Et la voix de la mer se tait devant ma voix.
Lorsque mon peuple souffre,
ou qu'il lui faut des lois,
J'élève mes regards, votre esprit me visite;
La terre alors chancelle et le soleil hésite,
Vos
anges sont jaloux et m'admirent entre eux. --
Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux;
Vous m'avez fait vieillir puissant et solitaire,
Laissez-moi
m'endormir du sommeil de la terre!
`Sitôt que votre souffle a rempli le berger,
Les hommes se sont dit: "Il nous est étranger";
Et les yeux se
baissaient devant mes yeux de flamme,
Car ils venaient, hélas! d'y voir plus que mon âme.
J'ai vu l'amour
s'éteindre et l'amitié tarir;
Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.
M'enveloppant alors de la colonne
noire,
J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,
Et j'ai dit dans mon coeur: "Que vouloir à présent?"
Pour