Oh! qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse, Ange doux et plaintif qui parle en soupirant? Qui naîtra
comme toi portant une caresse Dans chaque éclair tombé de ton regard mourant, Dans les balancements
de ta tête penchée, Dans ta taille dolente et mollement couchée, Et dans ton pur sourire amoureux et souffrant?
Vivez, froide Nature, et revivez sans cesse Sur nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi; Vivez, et
dédaignez, si vous êtes déesse, L'homme, humble passager, qui dut vous être un roi; Plus que tout votre règne
et que ses splendeurs vaines, J'aime la majesté des souffrances humaines; Vous ne recevrez pas un cri
d'amour de moi.
Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente, Rêver sur mon épaule, en y posant ton front? Viens du paisible
seuil de la maison roulante Voir ceux qui sont passés et ceux qui passeront. Tous les tableaux humains
qu'un Esprit pur m'apporte S'animeront pour toi quand devant notre porte Les grands pays muets longuement
s'étendront.
Nous marcherons ainsi, ne laissant que notre ombre Sur cette terre ingrate où les morts ont passé; Nous
nous parlerons d'eux à l'heure où tout est sombre, Où tu te plais à suivre un chemin effacé, A rêver, appuyée aux
branches incertaines, Pleurant, comme Diane au bord de ses fontaines, Ton amour taciturne et toujours
menacé.
233 La Mort du Loup
ILES nuages couraient sur la lune enflammée Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée, Et les bois étaient
noirs jusques à l'horizon. Nous marchions, sans parler, dans l'humide gazon, Dans la bruyère épaisse et
dans les hautes brandes, Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes Nous avons aperçu les grands
ongles marqués Par les loups voyageurs que nous avions traqués. Nous avons écouté, retenant notre haleine Et
le pas suspendu. -- Ni le bois ni la plaine Ne poussaient un soupir dans les airs; seulement La girouette
en deuil criait au firmament; Car le vent, élevé bien au-dessus des terres, N'effleurait de ses pieds que les
tours solitaires, Et les chênes d'en bas, contre les rocs penchés, Sur leurs coudes semblaient endormis et
couchés. Rien ne bruissait donc, lorsque, baissant la tête, Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en
quête A regardé le sable en s'y couchant; bientôt, Lui que jamais ici l'on ne vit en défaut, A déclaré tout bas que
ces marques récentes Annonçaient la démarche et les griffes puissantes De deux grands loups-cerviers et
de deux louveteaux. Nous avons tous alors préparé nos couteaux, Et, cachant nos fusils et leurs lueurs
trop blanches, Nous allions pas à pas en écartant les branches. Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils
voyaient, J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient, Et je vois au delà quatre formes légères Qui dansaient
sous la lune au milieu des bruyères, Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux Quand le maître
revient, les lévriers joyeux. Leur forme était semblable, et semblable la danse; Mais les enfants du Loup se
jouaient en silence, Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'á demi, Se couche dans ses murs l'homme,
leur ennemi. Le père était debout, et plus loin, contre un arbre, Sa louve reposait comme celle de marbre Qu'adoraient
les Romains, et dont les flancs velus Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus. Le Loup vient et s'assied,
les deux jambes dressées, Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées. Il s'est jugé perdu, puisqu'il était
surpris, Sa retraite coupée et tous ses chemins pris; Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante, Du chien
le plus hardi la gorge pantelante, Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer, Malgré nos coups de feu, qui
traversaient sa chair, Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles, Se croisaient en plongeant dans
ses larges entrailles, Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé, Mort longtemps avant lui, sous ses pieds
a roulé. Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde. Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde, Le
clouaient au gazon tout baigné dans son sang; Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant. Il nous regarde
encore, ensuite il se recouche, Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche, Et, sans daigner savoir comment
il a péri, Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
IIJ'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre, Me prenant à penser, et n'ai pu me résoudre A poursuivre
sa Louve et ses fils, qui, tous trois, Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois, Sans ses deux louveteaux,
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