VIIPuis, immobile et froid, comme le cap des brumes Qui sert de sentinelle au détroit Magellan, Sombre comme
ces rocs au front chargé d'écumes, Ces pics noirs dont chacun porte un deuil castillan, Il ouvre une bouteille
et la choisit très forte, Tandis que son vaisseau que le courant emporte Tourne en un cercle étroit comme
un vol de milan.
VIIIIl tient dans une main cette vieille compagne, Ferme, de l'autre main, son flanc noir et terni. Le cachet
porte encor le blason de Champagne: De la mousse de Reims son col vert est jauni. D'un regard, le
marin en soi-même rappelle Quel jour il assembla l'équipage autour d'elle, Pour porter un grand toste au
pavillon béni.
IXOn avait mis en panne, et c'était grande fête; Chaque homme sur son mât tenait le verre en main; Chacun à
son signal se découvrit la tête, Et répondit d'en haut par un hourra soudain. Le soleil souriant dorait les voiles
blanches; L'air ému répétait ces voix mâles et franches, Ce noble appel de l'homme à son pays lointain.
XAprès le cri de tous, chacun rêve en silence. Dans la mousse d'Aï luit l'éclair d'un bonheur; Tout au fond de
son verre il aperçoit la France. La France est pour chacun ce qu'y laissa son coeur: L'un y voit son vieux
père assis au coin de l'âtre, Comptant ses jours d'absence; à la table du pâtre, Il voit sa chaise vide à côté de sa
soeur.
XIUn autre y voit Paris, où sa fille penchée Marque avec les compas tous les souffles de l'air, Ternit de pleurs
la glace où l'aiguille est cachée, Et cherche à ramener l'aimant avec le fer. Un autre y voit Marseille. Une
femme se lève, Court au port et lui tend un mouchoir de la grève, Et ne sent pas ses pieds enfoncés dans la
mer.
XIIO superstition des amours ineffables, Murmures de nos coeurs qui nous semblez des voix, Calculs de la
science, ô décevantes fables! Pourquoi nous apparaître en un jour tant de fois? Pourquoi vers l'horizon nous
tendre ainsi des pièges? Espérances roulant comme roulent les neiges; Globes toujours pétris et fondus sous
nos doigts!
XIIIOù sont-ils à présent? où sont ces trois cents braves? Renversés par le vent dans les courants maudits, Aux
harpons indiens ils portent pour épaves Leurs habits déchirés sur leurs corps refroidis, Les savants officiers,
la hache à la ceinture, Ont péri les premiers en coupant la mâture: Ainsi, de ces trois cents il n'en reste que
dix!
XIVLe capitaine encor jette un regard au pôle Dont il vient d'explorer les détroits inconnus. L'eau monte à ses
genoux et frappe son épaule; Il peut lever au ciel l'un de ses deux bras nus. Son navire est coulé, sa vie est
révolue: Il lance la Bouteille à la mer, et salue Les jours de l'avenir qui pour lui sont venus.
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By PanEris
using Melati.
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