QUAND nous habitions tous ensemble
Sur nos collines d'autrefois,
Où l'eau court, où le buisson tremble
Dans
la maison qui touche aux bois, Elle avait dix ans, et moi trente;
J'étais pour elle l'univers.
Oh! comme l'herbe est odorante
Sous les arbres
profonds et verts!
Elle faisait mon sort prospère,
Mon travail léger, mon ciel bleu.
Lorsqu'elle me disait: Mon père,
Tout mon coeur
s'écriait: Mon Dieu!
A travers mes songes sans nombre,
J'écoutais son parler joyeux,
Et mon front s'éclairait dans l'ombre
A la
lumière de ses yeux.
Elle avait l'air d'une princesse
Quand je la tenais par la main.
Elle cherchait des fleurs sans cesse
Et des
pauvres dans le chemin.
Elle donnait comme on dérobe,
En se cachant aux yeux de tous.
Oh! la belle petite robe
Qu'elle avait, vous
rappelez-vous?
Le soir, auprès de ma bougie,
Elle jasait à petit bruit,
Tandis qu'à la vitre rougie
Heurtaient les papillons de
nuit.
Les anges se miraient en elle.
Que son bonjour était charmant!
Le ciel mettait dans sa prunelle
Ce regard
qui jamais ne ment.
Oh! je l'avais, si jeune encore,
Vue apparaître en mon destin!
C'était l'enfant de mon aurore,
Et mon étoile du
matin!
Quand la lune claire et sereinè
Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,
Comme nous allions dans la plaine!
Comme
nous courions dans les bois!
Puis, vers la lumière isolée
Étoilant le logis obscur,
Nous revenions par la vallée
En tournant le coin du vieux
mur;
Nous revenions, coeurs pleins de flamme,
En parlant des splendeurs du ciel.
Je composais cette jeune âme
Comme
l'abeille fait son miel.
Doux ange aux candides pensées,
Elle était gaie en arrivant ... --
Toutes ces choses sont passées
Comme
l'ombre et comme le vent!