J'AI cueilli cette fleur pour toi sur la colline.
Dans l'âpre escarpement qui sur le flot s'incline,
Que l'aigle
connaît seul et peut seul approcher,
Paisible, elle croissait aux fentes du rocher.
L'ombre baignait les flancs
du morne promontoire;
Je voyais, comme on dresse au lieu d'une victoire
Un grand arc de triomphe éclatant
et vermeil,
A l'endroit où s'était englouti le soleil,
La sombre nuit bâtir un porche de nuées.
Des voiles s'enfuyaient, au
loin diminuées;
Quelques toits, s'éclairant au fond d'un entonnoir,
Semblaient craindre de luire et de se laisser
voir.
J'ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée.
Elle est pâle, et n'a pas de corolle embaumée,
Sa racine
n'a pris sur la crête des monts
Que l'amère senteur des glauques goëmons;
Moi, j'ai dit: Pauvre fleur, du
haut de cette cime,
Tu devais t'en aller dans cet immense abîme
Où l'algue et le nuage et les voiles s'en
vont.
Va mourir sur un coeur, abîme plus profond.
Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde.
Le ciel,
qui te créa pour t'effeuiller dans l'onde,
Te fit pour l'océan, je te donne à l'amour.--
Le vent mêlait les flots; il ne
restait du jour
Qu'une vague lueur, lentement effacée.
Oh! comme j'étais triste au fond de ma pensée,
Tandis
que je songeais, et que le gouffre noir
M'entrait dans l'âme avec tous les frissons du soir!
250 Paroles sur la Dune
MAINTENANT que mon temps décroît comme un flambeau,
Que mes tâches sont terminées;
Maintenant que
voici que je touche au tombeau
Par les deuils et par les années,
Et qu'au fond de ce ciel que mon essor rêva,
Je vois fuir, vers l'ombre entraînées,
Comme le tourbillon du
passé qui s'en va,
Tant de belles heures sonnées;
Maintenant que je dis:--Un jour, nous triomphons,
Le lendemain tout est mensonge!--
Je suis triste et je
marche au bord des flots profonds,
Courbé comme celui qui songe.
Je regarde, au-dessus du mont et du vallon,
Et des mers sans fin remuées,
S'envoler sous le bec du vautour
aquilon,
Toute la toison des nuées;
J'entends le vent dans l'air, la mer sur le récif,
L'homme liant la gerbe mûre;
J'écoute, et je confronte en mon
esprit pensif
Ce qui parle à ce qui murmure;
Et je reste parfois couché sans me lever
Sur l'herbe rare de la dune,
Jusqu'à l'heure où l'on voit apparaître et
rêver
Les yeux sinistres de la lune.
Elle monte, elle jette un long rayon dormant
A l'espace, au mystère, au gouffre;
Et nous nous regardons
tous les deux fixement,
Elle qui brille et moi qui souffre.
Où donc s'en sont allés mes jours évanouis?
Est-il quelqu'un qui me connaisse?
Ai-je encor quelque chose
en mes yeux éblouis
De la clarté de ma jeunesse?
Tout s'est-il envolé? Je suis seul, je suis las;
J'appelle sans qu'on me réponde;
Ô vents! ô flots! ne suis-je
aussi qu'un souffle, hélas!
Hélas! ne suis-je aussi qu'une onde?
Ne verrai-je plus rien de tout ce que j'aimais?
Au dedans de moi le soir tombe.
Ô terre, dont la brume
efface les sommets,
Suis-je le spectre, et toi la tombe?
Ai-je donc vidé tout, vie, amour, joie, espoir?
J'attends, je demande, j'implore;
Je penche tour à tour mes
urnes pour avoir
De chacune une goutte encore.
Comme le souvenir est voisin du remord!
Comme à pleurer tout nous ramène!
Et que je te sens froide en te
touchant, ô mort,
Noir verrou de la porte humaine!
Et je pense, écoutant gémir le vent amer,
Et l'onde aux plis infranchissables;
L'été rit, et l'on voit sur le bord de
la mer
Fleurir le chardon bleu des sables.