L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle;
Les anges y volaient sans doute obscurément,
Car on voyait
passer dans la nuit, par moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.
La respiration de Booz, qui dormait,
Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.
On était dans le
mois où la nature est douce,
Les collines ayant des lys sur leur sommet.
Ruth songeait et Booz dormait; l'herbe était noire;
Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement;
Une
immense bonté tombait du firmament;
C'était l'heure tranquille où les lions vont boire.
Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth;
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre,
Le croissant fin
et clair parmi ces fleurs de l'ombre
Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,
Immobile, ouvrant l'oeil à moitié sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été
Avait, en s'en
allant, négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.
252 Un peu de Musique
ÉCOUTEZ!--
Comme un nid qui murmure invisible,
Un bruit confus s'approche, et des rires, des voix,
Des
pas, sortent du fond vertigineux des bois.
Et voici qu'à travers la grande forêt brune
Qu'emplit la rêverie immense de la lune
On entend frissonner et
vibrer mollement,
Communiquant aux bois son doux frémissement,
La guitare des monts d'Inspruck, reconnaissable
Au
grelot de son manche où sonne un grain de sable.
Il s'y mêle la voix d'un homme, et ce frisson
Prend un
sens et devient une vague chanson.
`Si tu veux, faisons un rêve.
Montons sur deux palefrois;
Tu m'emmènes, je t'enlève.
L'oiseau chante dans les
bois. `Je suis ton maître et ta proie;
Partons, c'est la fin du jour;
Mon cheval sera la joie,
Ton cheval sera l'amour.
`Nous ferons toucher leurs têtes;
Les voyages sont aisés;
Nous donnerons à ces bêtes
Une avoine de baisers.
`Viens! nos doux chevaux mensonges
Frappent du pied tous les deux,
Le mien au fond de mes songes,
Et
le tien au fond des cieux.
`Un bagage est nécessaire;
Nous emporterons nos voeux,
Nos bonheurs, notre misère,
Et la fleur de tes
cheveux.
`Viens, le soir brunit les chênes,
Le moineau rit; ce moqueur
Entend le doux bruit des chaînes
Que tu m'as
mises au coeur.
`Ce ne sera point ma faute
Si les forêts et les monts,
En nous voyant côte à côte,
Ne murmurent pas: Aimons!
`Viens, sois tendre, je suis ivre.
Ô les verts taillis mouillés!
Ton souffle te fera suivre
Des papillons réveillés.
`L'envieux oiseau nocturne,
Triste, ouvrira son oeil rond;
Les nymphes, penchant leur urne,
Dans les grottes
souriront,
`Et diront: "Sommes-nous folles!
C'est Léandre avec Héro;
En écoutant leurs paroles
Nous laissons tomber
notre eau."
`Allons-nous-en par l'Autriche!
Nous aurons l'aube à nos fronts;
Je serai grand, et toi riche,
Puisque nous
nous aimerons.
`Allons-nous-en par la terre,
Sur nos deux chevaux charmants,
Dans l'azur, dans le mystère,
Dans les éblouissements!