face effarée, Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons, Changeant subitement les drapeaux en haillons, A
de certains moments, spectre fait de fumées, Se lève grandissante au milieu des armées, La Déroute apparut
au soldat qui s'émeut, Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui peut! Sauve qui peut! affront! horreur! toutes
les bouches Criaient; à travers champs, fous, éperdus, farouches, Comme si quelque souffle avait passé sur
eux, Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux, Roulant dans les fossés, se cachant dans les
seigles, Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles, Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil! Tremblaient,
hurlaient, pleuraient, couraient. -- En un clin d'oeil, Comme s'envole au vent une paille enflammée, S'évanouit
ce bruit qui fut la grande armée, Et cette plaine, hélas, où l'on rêve aujourd'hui, Vit fuir ceux devant qui l'univers
avait fui! Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre, Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire, Ce champ
sinistre où Dieu mêla tant de néants, Tremble encor d'avoir vu la fuite des géants!
Napoléon les vit s'écouler comme un fleuve; Hommes, chevaux, tambours, drapeaux; et dans l'épreuve Sentant
confusément revenir son remords, Levant les mains au ciel, il dit: -- Mes soldats morts, Moi vaincu! mon
empire est brisé comme verre. Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère? -- Alors parmi les cris, les rumeurs,
le canon, Il entendit la voix qui lui répondait: Non!
IIIIl croula. Dieu changea la chaîne de l'Europe. Il est, au fond des mers que la brume enveloppe, Un roc
hideux, débris des antiques volcans. Le Destin prit des clous, un marteau, des carcans, Saisit, pâle et vivant,
ce voleur du tonnerre, Et, joyeux, s'en alla sur le pic centenaire Le clouer, excitant par son rire moqueur Le
vautour Angleterre à lui ronger le coeur. Évanouissement
d'une splendeur immense! Du soleil qui se lève à la nuit qui commence, Toujours l'isolement,
l'abandon, la prison; Un soldat rouge au seuil, la mer à l'horizon. Des rochers nus, des bois affreux, l'ennui,
l'espace, Des voiles s'enfuyant comme l'espoir qui passe, Toujours le bruit des flots, toujours le bruit des
vents! Adieu, tente de pourpre aux panaches mouvants, Adieu, le cheval blanc que César éperonne! Plus de
tambours battant aux champs, plus de couronne, Plus de rois prosternés dans l'ombre avec terreur, Plus
de manteau traînant sur eux, plus d'empereur! Napoléon était retombé Bonaparte.
Comme un romain blessé par la flèche du parthe, Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla. Un caporal
anglais lui disait: halte-là! Son fils aux mains des rois, sa femme au bras d'un autre! Plus vil que le pourceau
qui dans l'ègout se vautre, Son sénat, qui l'avait adoré, l'insultait. Au bord des mers, à l'heure où la bise se
tait, Sur les escarpements croulant en noirs décombres, Il marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres. Sur
les monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier, L'oeil encore ébloui des batailles d'hier, Il laissait sa
pensée errer à l'aventure. Grandeur, gloire, ô néant! calme de la nature! Les aigles qui passaient ne le connaissaient
pas. Les rois, ses guichetiers, avaient pris un compas Et l'avaient enfermé dans un cercle inflexible. Il expirait.
La mort de plus en plus visible Se levait dans sa nuit et croissait à ses yeux, Comme le froid matin d'un
jour mystérieux. Son âme palpitait, déjà presque échappée. Un jour enfin il mit sur son lit son épée, Et se coucha
près d'elle, et dit: c'est aujourd'hui! On jeta le manteau de Marengo sur lui. Ses batailles du Nil, du Danube,
du Tibre, Se penchaient sur son front; il dit: Me voici libre! Je suis vainqueur! je vois mes aigles accourir! -- Et, comme il retournait sa tête pour mourir, Il aperçut, un pied dans la maison déserte, Hudson Lowe guettant
par la porte entr'ouverte. Alors, géant broyé sous le talon des rois, Il cria: La mesure est comble cette fois! Seigneur!
c'est maintenant fini! Dieu que j'implore, Vous m'avez châtié! -- La voix dit: -- Pas encore!
242 Souvenir de la Nuit du 4 L'ENFANT avait reçu deux balles dans la tête. Le logis était propre, humble,
paisible, honnête; On voyait un rameau bénit sur un portrait. Une vieille grand'mère était là qui pleurait. Nous
le déshabillions en silence. Sa bouche, Pâle, s'ouvrait; la mort noyait son oeil farouche; Ses bras pendants
semblaient demander des appuis. Il avait dans sa poche une toupie en buis. On pouvait mettre un doigt
dans les trous de ses plaies. Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies? Son crâne était ouvert comme
un bois qui se fend. L'aïeule regarda déshabiller l'enfant, Disant: -- Comme il est blanc! approchez donc la
lampe. Dieu! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe! -- Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux. La
nuit était lugubre; on entendait des coups De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres. --Il faut ensevelir l'enfant,
dirent les nôtres. Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer. L'aïeule cependant l'approchait du foyer, Comme
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