un rayon de lumière, Comme une vision légère, Passent les ombres d'autrefois.
LE POÈTE Jours de travail! seuls jours où j'ai vécu! Õ trois fois chère solitude! Dieu soit loué, j'y suis donc revenu A
ce vieux cabinet d'étude! Pauvre réduit, murs tant de fois déserts Fauteuils poudreux, lampe fidèle, Ô mon palais,
mon petit univers, Et toi, Muse, ô jeune immortelle, Dieu soit loué, nous allons donc chanter! Oui, je veux
vous ouvrir mon âme, Vous saurez tout, et je vais vous conter Le mal que peut faire une femme; Car c'en
est une, ô mes pauvres amis, (Hélas! vous le saviez peut-être!) C'est une femme à qui je fus soumis Comme
le serf l'est à son maître. Joug détesté! c'est par là que mon coeur Perdit sa force et sa jeunesse; -- Et cependant,
auprès de ma maîtresse, J'avais entrevu le bonheur. Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble, Le
soir sur le sable argentin, Quand devant nous le blanc spectre du tremble De loin nous montrait le chemin; Je
vois encore, aux rayons de la lune, Ce beau corps plier dans mes bras ... N'en parlons plus ... je ne
prévoyais pas Où me conduirait la Fortune. Sans doute alors la colère des Dieux Avait besoin d'une victime; Car
elle m'a puni comme d'un crime D'avoir essayé d'être heureux.
LA MUSE
L'image d'un doux souvenir Vient de s'offrir à ta pensée. Sur la trace qu'il a laissée Pourquoi crains-tu de
revenir? Est-ce faire un récit fidèle Que de renier ses beaux jours? Si ta fortune fut cruelle, Jeune homme,
fais du moins comme elle, Souris à tes premiers amours.
LE POÈTE Non, -- c'est à mes malheurs que je prétends sourire. Muse, je te l'ai dit: je veux, sans passion, Te
conter mes ennuis, mes rêves, mon délire, Et t'en dire le temps, l'heure et l'occasion. C'était, il m'en souvient,
par une nuit d'automne Triste et froide, à peu près semblable à celle-ci; Le murmure du vent, de son bruit
monotone, Dans mon cerveau lassé berçait mon noir souci. J'étais à la fenêtre, attendant ma maîtresse; Et, tout
en écoutant dans cette obscurité, Je me sentais dans l'âme une telle détresse, Qu'il me vint le soupçon d'une
infidélité. La rue où je logeais était sombre et déserte; Quelques ombres passaient, un falot à la main; Quand
la bise soufflait dans la porte entr'ouverte, On entendait de loin comme un soupir humain. Je ne sais, à
vrai dire, à quel fâcheux présage Mon esprit inquiet alors s'abandonna. Je rappelais en vain un reste de
courage, Et me sentis frémir lorsque l'heure sonna. Elle ne venait pas. Seul, la tête baissée, Je regardai longtemps
les murs et le chemin, --
Et je ne t'ai pas dit quelle ardeur insensée Cette inconstante femme allumait dans mon sein; Je n'aimais
qu'elle au monde, et vivre un jour sans elle Me semblait un destin plus affreux que la mort. Je me souviens
pourtant qu'en cette nuit cruelle Pour briser mon lien je fis un long effort. Je la nommais cent fois perfide
et déloyale, Je comptais tous les maux qu'elle m'avait causés. Hélas! au souvenir de sa beauté fatale, Quels
maux et quels chagrins n'étaient pas apaisés! Le jour parut enfin. -- Las d'une vaine attente, Sur le bord
du balcon je m'étais assoupi; Je rouvris la paupière à l'aurore naissante, Et je laissai flotter mon regard ébloui
... tout à coup, au détour de l'étroite ruelle, J'entends sur le gravier marcher à petit bruit ... Grand Dieu! préservez-
moi! je l'aperçois; c'est elle; Elle entre. -- D'où viens-tu? qu'as-tu fait cette nuit? Réponds, que me veux-tu?
qui t'amène à cette heure? Ce beau corps, jusqu'au jour, où s'est-il étendu? Tandis qu'à ce balcon, seul, je veille
et je pleure, En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-tu? Perfide! audacieuse! est-il encore possible Que tu
viennes offrir ta bouche à mes baisers? Que demandes-tu donc? par quelle soif horrible Oses-tu m'attirer
dans tes bras épuisés? Va-t-en, retire-toi, spectre de ma maîtresse! Rentre dans ton tombeau, si tu t'en es
levé; Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse, Et quand je pense à toi, croire que j'ai rêvé!
LA MUSE
Apaise-toi, je t'en conjure1 Tes paroles m'ont fait frémir. Ô mon bien-aimé! ta blessure Est encor prête à se
rouvrir. Hélas! elle est donc bien profonde? Et les misères de ce monde Sont si lentes à s'effacer! Oublie,
enfant, et de ton âme Chasse le nom de cette femme Que je ne veux pas prononcer.
LE POÈTE
Honte à toi qui la première M'as appris la trahison, Et d'horreur et de colère M'as fait perdre la raison! Honte à
toi, femme à l'oeil sombre, Dont les funestes amours Ont enseveli dans l'ombre Mon printemps et mes
|