beaux jours! C'est ta voix, c'est ton sourire, C'est ton regard corrupteur, Qui m'ont appris à maudire Jusqu'au
semblant du bonheur; C'est ta jeunesse et tes charmes Qui m'ont fait désespérer, Et si je doute des larmes, C'est
que je t'ai vu pleurer. Honte à toi; j'étais encore Aussi simple qu'un enfant; Comme une fleur à l'aurore, Mon
coeur s'ouvrait en t'aimant. Certes, ce coeur sans défense Put sans peine être abusé; Mais lui laisser l'innocence Était
encor plus aisé. Honte à toi! tu fus la mère De mes premières douleurs, Et tu fis de ma paupière Jaillir la
source des pleurs! Elle coule, sois-en sûre, Et rien ne la tarira; Elle sort d'une blessure Qui jamais ne guérira; Mais
dans cette source amère Du moins je me laverai, Et j'y laisserai, j'espère, Ton souvenir abhorré!
LA MUSE Poète, c'est assez. Auprès d'une infidèle, Quand ton illusion n'aurait duré qu'un jour, N'outrage pas
ce jour lorsque tu parles d'elle; Si tu veux être aimé, respecte ton amour. Si l'effort est trop grand pour la
faiblesse humaine De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui, Épargne-toi du moins le tourment de
la haine; A défaut du pardon, laisse venir l'oubli. Les morts dorment en paix dans le sein de la terre; Ainsi
doivent dormir nos sentiments éteints. Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière; Sur leurs restes sacrés
ne portons pas les mains. Pourquoi, dans ce récit d'une vive souffrance, Ne veux-tu voir qu'un rêve et qu'un
amour trompé? Est-ce donc sans motif qu'agit la Providence? Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t'a frappé? Le
coup dont tu te plains t'a préservé peut-être, Enfant, car c'est par là que ton coeur s'est ouvert.
L'homme est un apprenti, la douleur est son maîtrc, Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. C'est
une dure loi, mais une loi suprême, Vieille comme le monde et la fatalité, Qu'il nous faut du malheur recevoir
le baptême, Et qu'à ce triste prix tout doit être acheté. Les moissons, pour mûrir, ont besoin de rosée; Pour vivre,
et pour sentir, l'homme a besoin des pleurs; La joie a pour symbole une plante brisée, Humide encor de
pluie et couverte de fleurs. Ne te disais-tu pas guéri de ta folie? N'es-tu pas jeune, heureux, partout le
bien-venu, Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie, Si tu n'avais pleuré, quel cas en ferais-tu? Lorsque au
déclin du jour, assis sur la bruyère, Avec un vieil ami tu bois en liberté, Dis-moi, d'aussi bon coeur lèverais-tu
ton verre, Si tu n'avais senti le prix de la gaîté? Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure, Les sonnets de
Pétrarque et les chants des oiseaux, Michel-Ange et les arts, Shakspeare et la nature, Si tu n'y retrouvais
quelques anciens sanglots? Comprendrais-tu des cieux l'ineffable harmonie, Le silence des nuits, le murmure
des flots, Si quelque part là-bas la fièvre et l'insomnie Ne t'avaient fait songer à l'éternel repos? N'as-tu pas
maintenant une belle maîtresse? Et lorsqu'en t'endormant tu lui serres la main, Le lointain souvenir des
maux de ta jeunesse Ne rend-il pas plus doux son sourire divin? N'allez-vous pas aussi vous promener
ensemble Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin? Et dans ce vert palais le blanc spectre du tremble
Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin? Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune, Plier comme
autrefois un beau corps dans tes bras? Et, si dans le sentier tu trouvais la Fortune, Derrière elle, en chantant,
ne marcherais-tu pas? De quoi te plains-tu donc? l'immortelle espérance S'est retrempée en toi sous la
main du malheur. Pourquoi veux-tu haïr ta jeune expérience, Et détester un mal qui t'a rendu meilleur? Õ mon
enfant! plains-la, cette belle infidèle, Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux; Plains-la! C'est une femme,
et Dieu t'a fait, près d'elle, Deviner, en souffrant, le secret des heureux. Sa tâche fut pénible; elle t'aimait peut-être; Mais
le destin voulait qu'elle brisât ton coeur. Elle savait la vie, et te l'a fait connaître; Une autre a recueilli
le fruit de ta douleur. Plains-la! son triste amour a passé comme un songe; Elle a vu ta blessure et n'a pu
la fermer. Dans ses larmes, crois-moi, tout n'était pas mensonge; Quand tout l'aurait été, plains-la! tu sais
aimer.
LE POÈTE
Tu dis vrai; la haine est impie, Et c'est un frisson plein d'horreur Quand cette vipère assoupie Se déroule
dans notre coeur. Écoute-moi donc, ô déesse! Et sois témoin de mon serment; Par les yeux bleus de ma maîtresse, Et
par l'azur du firmament; Par cette étincelle brillante Qui de Vénus porte le nom, Et, comme une perle tremblante, Scintille au loin sur l'horizon; Par la grandeur de la Nature, Par la bonté du Créateur, Par la clarté tranquille
et pure De l'astre cher au voyageur, Par les herbes de la prairie, Par les forêts, par les prés verts, Par la
puissance de la vie, Par la sève de l'univers, Je te bannis de ma mémoire. Reste d'un amour insensé, Mystérieuse
et sombre histoire Qui dormiras dans le passé! Et toi qui, jadis, d'une amie Portas la forme et le doux nom, L'instant
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