A Gênes, sous les citronniers;
A Vevay, sous les verts pommiers
Au Havre, devant l'Atlantique;
A Venise, à l'affreux Lido,
Où vient sur l'herbe d'un tombeau
Mourir la pâle Adriatique;

Partout où, sous ces vastes cieux,
J'ai lassé mon coeur et mes yeux,
Saignant d'une éternelle plaie;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M'a promené sur une claie;

Partout où, sans cesse altéré
De la soif d'un monde ignoré,
J'ai suivi l'ombre de mes songes;
Partout où, sans avoir vécu,
J'ai revu ce que j'avais vu,
La face humaine et ses mensonges;

Partout où, le long des chemins,
J'ai posé mon front dans mes mains
Et sangloté comme une femme;
Partout où j'ai, comme un mouton
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuer mon âme;

Partout où j'ai voulu dormir,
Partout où j'ai voulu mourir,
Partout où j'ai touché la terre,
Sur ma route est venu s'asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
    Je vois toujours sur mon chemin?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
    Que tu sois mon mauvais Destin.
Ton doux sourire a trop de patience,
    Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j'aime la Providence.
Ta douleur même est soeur de ma souffrance;
    Elle ressemble à l'amitié.

Qui donc es-tu? -- Tu n'es pas mon bon ange;
    Jamais tu ne viens m'avertir.
Tu vois mes maux (c'est une chose étrange!)
    Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
    Et je ne saurais t'appeler.
Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie?
Tu me souris sans partager ma joie,
    Tu me plains sans me consoler!

Ce soir encor je t'ai vu m'apparaître.
    C'était par une triste nuit.
L'aile des vents battait à ma fenêtre;
    J'étais seul, courbé sur mon lit.
J'y regardais une place chérie,
    Tiède encor d'un baiser brûlant;
Et je songeais comme la femme oublie,
Et je sentais un lambeau de ma vie,
    Qui se déchirait lentement.

Je rassemblais des lettres de la veille,
    Des cheveux, des débris d'amour.
Tout ce passé me criait à l'oreille
    Ses éternels serments d'un jour.
Je contemplais ces reliques sacrées,
    Qui me faisaient trembler la main:
Larmes du coeur par le coeur dévorées,
Et que les yeux qui les avaient pleurées
    Ne reconnaîtront plus demain!

J'enveloppais dans un morceau de bure
    Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu'ici-bas ce qui dure,
    C'est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une mer profonde
    Je me perdais dans tant d'oubli.
De tous côtés j'y retournais la sonde,
Et je pleurais seul, loin des yeux du monde,
    Mon pauvre amour enseveli.

J'allais poser le sceau de cire noire
    Sur ce fragile et cher trésor.
J'allais le rendre, et, n'y pouvant pas croire,
    En pleurant j'en doutais encor.

Ah! faible femme, orgueilleuse insensée,
    Malgré toi tu t'en souviendras!
Pourquoi, grand Dieu! mentir à sa pensée?
Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
    Ces sanglots, si tu n'aimais pas?

Oui, tu languis, tu souffres et tu pleures;
    Mais ta chimère est entre nous.
Eh bien, adieu! Vous compterez les heures
    Qui me sépareront de vous.
Partez, partez, et dans ce coeur de glace
    Emportez l'orgueil satisfait.
Je sens encor le mien jeune et vivace,
Et bien des maux pourront y trouver place
    Sur le mal que vous m'avez fait.

Partez, partez! la Nature immortelle
    N'a pas tout voulu vous donner.
Ah! pauvre enfant, qui voulez être belle,
    Et ne savez pas pardonner!
Allez, allez, suivez la destinée;
    Qui vous perd n'a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumée; --
Éternel Dieu! toi que j'ai tant aimée,
    Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu?

Mais tout à coup j'ai vu dans la nuit sombre
    Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre;
    Elle vient s'asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
    Sombre portrait vêtu de noir?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage?
Est-ce un vain rêve? est-ce ma propre image
    Que j'aperçois dans ce miroir?


  By PanEris using Melati.

Previous chapter/page Back Home Email this Search Discuss Bookmark Next chapter/page
Copyright: All texts on Bibliomania are © Bibliomania.com Ltd, and may not be reproduced in any form without our written permission. See our FAQ for more details.