nuit éternelle Vînt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux
mains? Clouerons-nous au poteau d'une satire altière Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire, Qui,
poussé par la faim, du fond de son oubli, S'en vient, tout grelottant d'envie et d'impuissance, Sur le front
du génie insulter l'espérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali? Prends ton luth! prends ton luth!
je ne peux plus me taire; Mon aile me soulève au souffle du printemps. Le vent va m'emporter; je vais quitter
la terre. Une larme de toi! Dieu m'écoute; il est temps.
LE POÈTE
S'il ne te faut, ma soeur chérie, Qu'un baiser d'une lèvre amie Et qu'une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine; De nos amours qu'il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne
chante ni l'espérance, Ni la gloire, ni le bonheur, Hélas! pas même la souffrance. La bouche garde le silence Pour écouter
parler le coeur.
LA MUSECrois-tu donc que je sois comme le vent d'automne Qui se nourrit de pleurs jusque sur un
tombeau, Et pour qui la douleur n'est qu'une goutte d'eau? Ô poète! un baiser, c'est moi qui te le donne. L'herbe
que je voulais arracher de ce lieu, C'est ton oisiveté; ta douleur est à Dieu. Quel que soit le souci que ta
jeunesse endure, Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure Que les noirs séraphins t'ont faite au fond du
coeur; Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que
ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels
qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à
ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s'abattre sur les eaux. Déjà, croyant
saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs
goîtres hideux. Lui, gagnant à pas lents une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur
mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte; En vain il a des mers fouillé la profondeur: L'Océan était
vide et la plage déserte; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, étendu sur la
pierre, Partageant à ses fils ses entrailles de père, Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant
couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle, Ivre de volupté, de tendresse
et d'horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigué de mourir dans un trop long supplice, Il craint
que ses enfants ne le laissent vivant; Alors, il se soulève, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le coeur
avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu, Que les oiseaux des mers désertent le
rivage, Et que le voyageur attardé sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande à Dieu. Poète, c'est
ainsi que font les grands poètes: Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps; Mais les festins humains
qu'ils servent à leurs fêtes Ressemblent la plupart à ceux des pélicans. Quand ils parlent ainsi d'espérances
trompées, De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur, Ce n'est pas un concert à dilater le coeur. Leurs
déclamations sont comme des épées: Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant, Mais il y pend toujours
quelque goutte de sang.
LE POÈTE
Ô
Muse! spectre insatiable, Ne m'en demande pas si long. L'homme n'écrit rien sur le sable A l'heure où passe
l'aquilon. J'ai vu le temps où ma jeunesse Sur mes lèvres était sans cesse Prête à chanter comme un oiseau; Mais
j'ai souffert un dur martyre, Et le moins que j'en pourrais dire, Si je l'essayais sur ma lyre, La briserait
comme un roseau.
269 Chanson A SAINT-BLAISE, à la Zuecca, Vous étiez, vous étiez bien aise A Saint-Blaise. A
Saint-Blaise, à la Zuecca, Nous étions bien là. Mais de vous en souvenir Prendrez-vous la peine? Mais de vous en souvenir Et d'y revenir,
A Saint-Blaise, à la Zuecca, Dans les prés fleuris cueillir la verveine? A Saint-Blaise, à la Zuecca, Vivre et
mourir là!
270 Lettre à Lamartine LORSQUE le grand Byron allait quitter Ravenne, Et chercher sur les mers
quelque plage lointaine Où finir en héros son immortel ennui, Comme il était assis aux pieds de sa maîtresse,
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