280
PastelJ'AIME à vous voir en vos cadres ovales,
Portraits jaunis des belles du vieux temps,
Tenant en
main des roses un peu pâles,
Comme il convient à des fleurs de cent ans. Le vent d'hiver, en vous touchant la joue,
A fait mourir vos oeillets et vos lis,
Vous n'avez plus que des
mouches de boue
Et sur les quais vous gisez tout salis.
Il est passé, le doux règne des belles;
La Parabère avec la Pompadour
Ne trouveraient que des sujets rebelles,
Et
sous leur tombe est enterré l'amour.
Vous, cependant, vieux portraits qu'on oublie,
Vous respirez vos bouquets sans parfums,
Et souriez avec
mélancolie
Au souvenir de vos galants défunts.
281
ChinoiserieCE n'est pas vous, non, madame, que j'aime,
Ni vous non plus, Juliette, ni vous,
Ophélia,
ni Béatrix, ni même
Laure la blonde, avec ses grands yeux doux. Celle que j'aime, à présent, est en Chine;
Elle demeure avec ses vieux parents,
Dans une tour de porcelaine
fine,
Au fleuve Jaune, où sont les cormorans.
Elle a des yeux retroussés vers les tempes,
Un pied petit à tenir dans la main,
Le teint plus clair que le
cuivre des lampes,
Les ongles longs et rougis de carmin.
Par son treillis elle passe sa tête,
Que l'hirondelle, en volant, vient toucher;
Et, chaque soir, aussi bien
qu'un poète,
Chante le saule et la fleur du pêcher.
282
Symphonie en Blanc Majeur
DE leur col blanc courbant les lignes,
On voit dans les contes du Nord,
Sur le vieux Rhin, des femmes-
cygnes
Nager en chantant près du bord. Ou, suspendant à quelque branche
Le plumage qui les revêt,
Faire luire leur peau plus blanche
Que la neige
de leur duvet.
De ces femmes il en est une,
Qui chez nous descend quelquefois,
Blanche comme le clair de lune
Sur les
glaciers dans les cieux froids,
Conviant la vue enivrée
De sa boréale fraîcheur
A des régals de chair nacrée,
A des débauches de blancheur!
Son sein, neige moulée en globe,
Contre les camélias blancs
Et le blanc satin de sa robe
Soutient des combats
insolents.
Dans ces grandes batailles blanches,
Satins et fleurs ont le dessous,
Et, sans demander leurs revanches,
Jaunissent
comme des jaloux.
Sur la blancheur de son épaule,
Paros au grain éblouissant,
Comme dans une nuit du pôle,
Un givre invisible
descend.
De quel mica de neige vierge,
De quelle moelle de roseau,
De quelle hostie et de quel cierge
A-t-on fait le
blanc de sa peau?
A-t-on pris la goutte lactée
Tachant l'azur du ciel d'hiver,
Le lis à la pulpe argentée,
La blanche écume de la
mer,
Le marbre blanc, chair froide et pâle
Où vivent les divinités;
L'argent mat, la laiteuse opale
Qu'irisent de vagues
clartés;