I
QUAND l'homme te frappa de sa lâche cognée,
Õ roi qu'hier le mont portait avec orgueil,
Mon âme au premier
coup retentit indignée,
Et dans la forêt sainte il se fit un grand deuil. Un murmure éclata sous ses ombres paisibles:
J'entendis des sanglots et des bruits menaçants;
Je vis
errer des bois les hôtes invisibles,
Pour te défendre, hélas! contre l'homme impuissants.
Tout un peuple effrayé partit de ton feuillage,
Et mille oiseaux chanteurs, troublés dans leurs amours
Planèrent
sur ton front, comme un pâle nuage,
Perçant de cris aigus tes gémissements sourds.
Le flot triste hésita dans l'urne des fontaines;
Le haut du mont trembla sous les pins chancelants,
Et l'aquilon
roula dans les gorges lointaines
L'écho des grands soupirs arrachés à tes flancs.
Ta chute laboura, comme un coup de tonnerre,
Un arpent tout entier sur le sol paternel;
Et quand son
sein meurtri reçut ton corps, la terre
Eut un rugissement terrible et solennel.
Car Cybèle t'aimait, toi l'aîné de ses chênes,
Comme un premier enfant que sa mère a nourri;
Du plus pur de
sa sève elle abreuvait tes veines,
Et son front se levait pour te faire un abri.
Elle entoura tes pieds d'un long tapis de mousse,
Où toujours en avril elle faisait germer
Pervenche et
violette à l'odeur fraîche et douce,
Pour qu'on choisît ton ombre et qu'on y vînt aimer.
Toi, sur elle épanchant cette ombre et tes murmures,
Oh! tu lui payais bien ton tribut filial!
Et chaque automne à
flots versait tes feuilles mûres,
Comme un manteau d'hiver, sur le coteau natal.
La terre s'enivrait de ta large harmonie;
Pour parler dans la brise, elle a créé les bois;
Quand elle veut gémir
d'une plainte infinie,
Des chênes et des pins elle emprunte la voix.
Cybèle t'amenait une immense famille;
Chaque branche portait son nid ou son essaim:
Abeille, oiseau,
reptile, insecte qui fourmille,
Tous avaient la pâture et l'abri dans ton sein.
Ta chute a dispersé tout ce peuple sonore;
Mille êtres avec toi tombent anéantis;
A ta place, dans l'air, seuls
voltigent encore
Quelques pauvres oiseaux qui cherchent leurs petits
Tes rameaux ont broyé des troncs déjà robustes;
Autour de toi la mort a fauché largement.
Tu gis sur un monceau
de chênes et d'arbustes.
J'ai vu tes verts cheveux pâlir en un moment.
Et ton éternité pourtant me semblait sûre!
La terre te gardait des jours multipliés...
La sève afflue encor par
l'horrible blessure
Qui dessécha le tronc séparé de ses pieds.
Oh! ne prodigue plus la sève à ces racines,
Ne verse pas ton sang sur ce fils expiré,
Mère! garde-le tout pour
les plantes voisines;
Le chêne ne boit plus ce breuvage sacré.
Dis adieu, pauvre chêne, au printemps qui t'enivre:
Hier, il t'a paré de feuillages nouveaux;
Tu ne sentiras
plus ce bonheur de revivre.
Adieu les nids d'amour qui peuplaient tes rameaux!
Adieu les noirs essaims bourdonnant sur tes branches,
Le frisson de la feuille aux caresses du vent,
Adieu
les frais tapis de mousse et de pervenches
Où le bruit des baisers t'a réjoui souvent!
Õ
chêne, je comprends ta puissante agonie!
Dans sa paix, dans sa force, il est dur de mourir;
A voir crouler
ta tête, au printemps rajeunie,
Je devine, ô géant! ce que tu dois souffrir.