Viens par ici, Corbeau, mon brave mangeur d'hommes!
Ouvre-moi la poitrine avec ton bec de fer.
Tu
nous retrouveras demain tels que nous sommes
Porte mon coeur tout chaud à la fille d'Ylmer.
Dans Upsal, où les Jarls boivent la bonne bière,
Et chantent, en heurtant les cruches d'or, en choeur,
A tire
d'aile vole, ô rôdeur de bruyère!
Cherche ma fiancée et porte-lui mon coeur.
Au sommet de la tour que hantent les corneilles
Tu la verras debout, blanche, aux longs cheveux noirs.
Deux
anneaux d'argent fin lui pendent aux oreilles,
Et ses yeux sont plus clairs que l'astre des beaux soirs.
Va, sombre messager, dis-lui bien que je l'aime,
Et que voici mon coeur. Elle reconnaîtra
Qu'il est rouge
et solide, et non tremblant et blême;
Et la fille d'Ylmer, Corbeau, te sourira!
Moi, je meurs. Mon esprit coule par vingt blessures.
J'ai fait mon temps. Buvez, ô loups, mon sang vermeil.
Jeune,
brave, riant, libre et sans flétrissures,
Je vais m'asseoir parmi les Dieux, dans le soleil!
296 Les Elfes COURONNÉS de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine. Du sentier des bois aux daims familier,
Sur un noir cheval, sort un chevalier.
Son éperon d'or brille en la
nuit brune;
Et, quand il traverse un rayon de lune,
On voit resplendir, d'un reflet changeant,
Sur sa chevelure
un casque d'argent.
Couronnés de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Ils l'entourent tous d'un essaim léger
Qui dans l'air muet semble voltiger.
--
Hardi chevalier, par la nuit sereine,
Où vas-tu si tard? dit la jeune Reine.
De mauvais esprits hantent les
forêts;
Viens danser plutôt sur les gazons frais. --
Couronnés de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
--
Non! ma fiancée aux yeux clairs et doux
M'attend, et demain nous serons époux.
Laissez-moi passer,
Elfes des prairies,
Qui foulez en rond les mousses fleuries;
Ne m'attardez pas loin de mon amour,
Car
voici déjà les lueurs du jour. --
Couronnés de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
--
Reste, chevalier. Je te donnerai
L'opale magique et l'anneau doré,
Et, ce qui vaut mieux que gloire et
fortune,
Ma robe filée au clair de la lune.
-- Non! dit-il. -- Va donc! -- Et de son doigt blanc
Elle touche au
coeur le guerrier tremblant.
Couronnés de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Et sous l'éperon le noir cheval part.
Il court, il bondit et va sans retard;
Mais le chevalier frissonne et se
penche;
Il voit sur la route une forme blanche
Qui marche sans bruit et lui tend les bras:
-- Elfe, esprit,
démon, ne m'arrête pas! --
Couronnés de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
--
Ne m'arrête pas, fantôme odieux!
Je vais épouser ma belle aux doux yeux.
-- Õ mon cher époux, la tombe éternelle
Sera
notre lit de noce, dit-elle.
Je suis morte! -- Et lui, la voyant ainsi,
D'angoisse et d'amour tombe
mort aussi.
Couronnés de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.