Théodore de Banville

307   A la Font-Georges Ô CHAMPS plein de silence,
Où mon heureuse enfance
Avait des jours encor
  Tout filés d'or!

Ô ma vieille Font-Georges,
Vers qui les rouges-gorges
Et le doux rossignol
  Prenaient leur vol!

Maison blanche où la vigne
Tordait en longue ligne
Son feuillage qui boit
  Les pleurs du toit!

Ô claire source froide,
Qu'ombrageait, vieux et roide,
Un noyer vigoureux
  A moitié creux!

Sources! fraîches fontaines!
Qui, douces à mes peines,
Frémissiez autrefois
  Rien qu'à ma voix!

Bassin où les laveuses
Chantaient insoucieuses
En battant sur leur banc
  Le linge blanc!

Ô sorbier centenaire,
Dont trois coups de tonnerre
Avaient laissé tout nu
  Le front chenu!

Tonnelles et coudrettes,
Verdoyantes retraites
De peupliers mouvants
  A tous les vents!

Ô vignes purpurines,
Dont, le long des collines,
Les ceps accumulés
  Ployaient gonflés;

Où, l'automne venue,
La Vendange mi-nue
A l'entour du pressoir
  Dansait le soir!

Ô buissons d'églantines,
jetant dans les ravines,
Comme un chêne le gland,
  Leur fruit sanglant!

Murmurante oseraie,
Où le ramier s'effraie,
Saule au feuillage bleu,
  Lointains en feu!

Rameaux lourds de cerises!
Moissonneuses surprises
A mi-jambe dans l'eau
  Du clair ruisseau!

Antres, chemins, fontaines,
ÔAcres parfums et plaines,
Ombrages et rochers
  Souvent cherchés!

Ruisseaux! forêts! silence!
Ô mes amours d'enfance!
Mon âme, sans témoins,
  Vous aime moins

Que ce jardin morose
Sans verdure et sans rose
Et ces sombres massifs
  D'antiques ifs,

Et ce chemin de sable,
Où j'eus l'heur ineffable,
Pour la première fois,
  D'ouïr sa voix!

Où rêveuse, l'amie
Doucement obéie,
S'appuyant à mon bras,
  Parlait tout bas,

Pensive et recueillie,
Et d'une fleur cueillie
Brisant le coeur discret
  D'un doigt distrait,

A l'heure où les étoiles
Frissonnant sous leurs voiles
Brodent le ciel changeant
  De fleurs d'argent.


308   `Nous n'irons plus au bois' NOUS n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés.
Les Amours des bassins, les Naïades en groupe
Voient reluire au soleil en cristaux découpés
Les flots silencieux qui coulaient de leur coupe.
Les lauriers sont coupés, et le cerf aux abois
Tressaille au son du cor; nous n'irons plus au bois,
Où des enfants charmants riait la folle troupe
Sous les regards des lys aux pleurs du ciel trempés.
Voici l'herbe qu'on fauche et les lauriers qu'on coupe.
Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés.

309   A Adolphe Gaïffe JEUNE homme sans mélancolie,
Blond comme un soleil d'Italie,
Garde bien ta belle folie.

C'est la sagesse! Aimer le vin,
La beauté, le printemps divin,
Cela suffit. Le reste est vain.

Souris, même au destin sévère!
Et quand revient la primevère,
Jettes-en les fleurs dans ton verre.

Au corps sous la tombe enfermé
Que reste-t-il? D'avoir aimé
Pendant deux ou trois mois de mai.


  By PanEris using Melati.

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